Ouverture des tribunaux de l’Ontario 2023

Allocution de l’honorable J. Michael Tulloch
Juge en chef de l’Ontario

Ouverture des tribunaux de l’Ontario. Le 28 septembre 2023.

C’est un honneur pour moi de présider cette séance spéciale des trois cours de l’Ontario. Bien que j’aie eu à plusieurs reprises l’occasion de participer à cette cérémonie, c’est la première fois que je le fais en qualité de juge en chef. Je suis ému d’avoir cette chance et c’est un privilège de pouvoir le faire aux côtés de mes collègues, l’honorable Geoffrey Morawetz et l’honorable Sharon Nicklas.

Pour commencer, je tiens à saluer ma collègue, la juge en chef adjointe Michal Fairburn, qui a rempli les fonctions de juge en chef intérimaire pour la Cour d’appel en plus de sa charge de juge en chef adjointe pendant quatre mois et continue de guider la Cour avec son leadership sage et dévoué. Je salue également tous mes collègues magistrats de la Cour d’appel, de la Cour supérieure de justice et de la Cour de justice de l’Ontario. Vous avez tous forgé l’influence et la réputation de notre Cour. Votre dévouement et votre rigueur sans failles sont inestimables.

J’aimerais aussi dire quelques mots au sujet de mon prédécesseur, l’ancien juge en chef George Strathy. Malheureusement, en raison d’un autre engagement, l’ancien juge en chef n’a pas pu participer à notre cérémonie, aujourd’hui. Je tiens toutefois à le remercier personnellement de son leadership exemplaire, de sa collégialité et de son amitié. Il a laissé une marque indélébile sur notre Cour et sur toute la profession.

J’aimerais aussi saluer l’ancienne juge en chef Lise Maisonneuve de la Cour de justice de l’Ontario. Lise, merci de tes huit années de service en qualité de juge en chef et de la chaleur et la collégialité dont tu m’as entouré après ma nomination.

Il me faut consacrer quelques instants à deux de mes collègues juges de la Cour d’appel. Nos collègues estimées, Alexandra Hoy et Gladys Pardu, partent à la retraite cette semaine. La juge Hoy prend sa retraite après avoir siégé pendant 22 ans comme juge et 12 ans à la Cour d’appel, dont sept en qualité de juge en chef adjointe de l’Ontario. La juge Pardu prend sa retraite après un service remarquable de 32 ans comme juge et dix ans à la Cour d’appel. Ces deux juges sont des collègues, des mentors et des leaders respectées de nos Cours depuis de nombreuses années. Je sais que je peux parler au nom de tous mes collègues pour dire que leur sagesse, leur compassion, leur expérience et leur bonne humeur vont grandement nous manquer. Nous vous souhaitons beaucoup de bonheur dans le prochain chapitre de votre carrière.

Malgré le grand vide que vont laisser les juges Hoy et Pardu, notre Cour est heureuse d’accueillir le juge Patrick Monahan, nommé au mois de mai. Le juge Monahan jouit d’une réputation exemplaire et de six ans d’expérience à la Cour supérieure de justice. Nous sommes ravis de l’avoir comme collègue.

La cérémonie d’ouverture des tribunaux est une cérémonie très spéciale et unique, que je trouve indispensable à la santé de notre système judiciaire. L’ouverture des tribunaux est l’occasion, pour toute la communauté juridique, de se concentrer sur des objectifs communs. Normalement, lorsque nous nous trouvons dans une salle d’audience de ce genre, c’est pour une instance accusatoire, chacun retranché dans son rôle constitutionnellement distinct de celui des autres participants. Nous avons tous — juges, avocats, dirigeants du pouvoir exécutif du gouvernement, personnel judiciaire, agents d’application de la loi, ou toute autre personne qui travaille pour le système de justice — promis de veiller à ce que la justice soit administrée d’une manière juste, efficace et efficiente.

L’ouverture des tribunaux est donc l’occasion, une fois par année, de prendre le temps de se pencher sur nos accomplissements et nos défis, et de passer en revue et de renouveler nos objectifs pour l’avenir. Cet exercice de réflexion profonde sur l’orientation de notre système judiciaire est important, chaque année, mais encore plus cette année à cause des difficultés auxquelles nous faisons face aujourd’hui.

Un peu partout, les gens remettent en question des institutions bien établies, s’interrogeant sur leur pertinence et leur capacité de répondre aux besoins et intérêts de la société. Le public n’accepte plus aveuglément l’explication que l’on ne peut pas changer ce qui existe depuis toujours. Les gens se demandent si notre sagesse profonde et nos pratiques bien établies continuent d’être dans l’intérêt collectif. Ils demandent des comptes de tous les titulaires d’une charge publique. Et ils ont bien raison de le faire.

Néanmoins, pour notre système juridique, ce sont des défis de taille. Ce n’est rien de moins que notre pertinence et notre légitimité institutionnelles qui sont en jeu et cela frappe au cœur même de la justice dans la société canadienne. En fait, pour souligner l’importance du droit, il me semble que le plus simple est de citer directement les paroles d’Abraham Lincoln, sans sa langue :

Let reverence for the laws, be breathed by every … mother, to the lisping babe, that prattles on her lap — let it be taught in schools, in seminaries, and in colleges; let it be written in Primers, spelling books, and in Almanacs; — let it be preached from the pulpit, proclaimed in legislative halls, and enforced in courts of justice. And, in short, let it become the political religion of the nation; and let the old and the young, the rich and the poor, the grave and the gay, of all sexes and tongues, and colors and conditions, sacrifice unceasingly upon its altars.

Pour moi, ces paroles ne sont pas juste des mots. Elles incarnent l’importance de la loi et de nos institutions juridiques, comme les tribunaux, pour nous, globalement, en tant que société et surtout pour chacun de nous, individuellement, en tant que Canadien ou Canadienne. Nous ne pouvons donc pas risquer de perdre la confiance du public dans notre système juridique.

Il est donc essentiel de ne pas esquiver ces défis; nous devons les affronter positivement. Paradoxalement, la façon de relever les défis de demain est de réaffirmer notre engagement envers deux valeurs traditionnelles à la base de notre système juridique : le devoir et la responsabilité.

En tant que membres du système de justice, nous avons la responsabilité et le devoir collectif de veiller à ce que notre système de justice demeure pertinent et efficace, à l’heure actuelle et à l’avenir. Mais comment allons-nous relever ce défi? Ce que je peux vous dire aujourd’hui c’est que nous devons unir nos forces et nous engager à respecter trois principes directeurs. Notre système de justice doit être réactif, accessible et représentatif de notre société.

« réactif » signifie que nous ne devons jamais perdre de vue le fait que nous servons la population de l’Ontario. Nous ne devons jamais perdre de vue le fait que dans chaque cause dont nos tribunaux sont saisis il y a des gens réels et que pour ces gens qui se retrouvent dans le système de justice, quels qu’ils soient, leur cause est probablement la chose la plus importante qui leur arrive, en ce moment précis.

Le rôle des tribunaux dans notre société est considérable. Les Ontariens et les Ontariennes ont un droit fondamental à un système de justice juste, efficient et efficace. Au service de ce droit, les tribunaux sont les gardiens de la justice, responsables de l’application de la règle de droit et veillant au traitement juste et impartial de tous les justiciables. Cependant, les défis auxquels nous nous trouvons confrontés aujourd’hui sont sans précédent : des progrès technologiques rapides et significatifs, des changements dans les normes sociales et des attentes de la justice en constante évolution, pour ne citer que les plus pressants. À une époque où notre société change constamment, il est essentiel que les tribunaux et le système de justice fassent preuve de dynamisme et de souplesse.

Notre infrastructure technologique et notre ingéniosité nous aideront à ancrer notre réactivité. En tant que société, nous avons la chance de vivre une époque d’énormes progrès technologiques et changements. Nous avons été conditionnés à accepter des changements rapides et continus comme l’une des rares constantes du monde moderne. Cela peut être tourné à l’avantage de notre système juridique. Les progrès technologiques peuvent nous aider à simplifier les procédures judiciaires, réduire les retards et rendre la justice rapidement. Nos tribunaux ont réussi remarquablement bien à s’organiser pour offrir des audiences virtuelles pendant la pandémie, ce qui témoigne de nos capacités technologiques. Il ne faut toutefois pas se reposer sur nos lauriers.

Je me suis rendu dans des communautés rurales, des communautés du Nord et des communautés autochtones au Canada, où j’ai ressenti viscéralement la difficulté, pour leurs résidents, de se rendre en personne au tribunal. Renforcer la capacité de nos tribunaux de fonctionner d’une façon sûre dans le monde numérique est indispensable pour offrir à ces communautés le même accès à la justice que dans les grandes métropoles. À mon avis, c’est une progression naturelle des projets de modernisation des tribunaux en cours, comme le lancement du nouveau système électronique de gestion des causes de la Cour d’appel, l’année passée.

Le deuxième principe directeur, une justice accessible, va de pair avec le principe de la réactivité. En comprenant les besoins de la population de l’Ontario à l’égard du système juridique, nous serons mieux à même d’éliminer les obstacles à l’accès aux tribunaux. En tant qu’institution publique, notre système judiciaire doit être accessible à tous dans notre société. Les tribunaux appartiennent aux gens et ils doivent leur être accessibles. Nous ne pouvons pas permettre que les tribunaux soient perçus comme réservés à une élite.

Si les habitants de l’Ontario n’ont pas les moyens de se défendre contre des accusations criminelles, si les victimes de crimes graves voient des accusations criminelles annulées en raison de retards inacceptables, si des procès civils ne peuvent pas être tranchés dans un milieu impartial, c’est que nous avons manqué à notre devoir de protéger la primauté du droit. Il faut sur ce plan être très clair : ce n’est pas seulement la faute des tribunaux et des gouvernements. C’est la faute de tout le monde.

L’accessibilité prend plusieurs formes, mais j’aimerais citer trois exemples, qui me semblent révélateurs. Premièrement, nous devons rendre nos procédures plus compréhensibles pour les gens qu’elles concernent. Cela veut dire rédiger des guides et des ressources en langage clair pour le public, veiller à ce que les documents et ressources soient pertinents et compréhensibles par les diverses communautés que nous servons, dont les communautés autochtones. Employer de plus en plus un langage simple et inclusif est essentiel pour atténuer l’angoisse que ressentent les gens dans le système judiciaire, et réduire le temps que passent les magistrats et le personnel à démêler l’écheveau embrouillé de dossiers et à donner des explications aux parties qui se représentent elles-mêmes.

Deuxièmement, nous devons promouvoir une prise de décision active et adéquate dans les causes avec des parties qui se représentent elles-mêmes. Notre système accusatoire présume que les deux parties seront adéquatement représentées, mais cette présomption ne tient pas lorsqu’un plaideur autoreprésenté comparaît. La prise de décision active est un outil capable de combler les lacunes pour que justice soit rendue. Permettez-moi d’expliquer ce concept. Une prise de décision active signifie écoute et participation actives; les juges posent des questions pertinentes pour aider le plaideur qui se représente lui-même à expliquer sa cause. De cette façon, les juges peuvent obtenir les preuves dont ils ont besoin pour se prononcer efficacement sur la cause. Il faut que les juges suivent une formation sur la prise de décision active pour qu’ils apprennent à faire preuve de retenue et à recourir à des compétences culturelles pour servir efficacement le public. Il s’agit d’une responsabilité qui me tient à cœur, car j’ai personnellement observé les avantages de la prise de décision active dans mon travail de juge et dans les deux examens publics indépendants que j’ai dirigés.

Troisièmement, l’accès à la justice exige de réfléchir à nos interactions avec le public. Les participants au secteur de la justice ne doivent pas se cloîtrer dans leur monde intellectuel, éloigné de la société qu’ils sont censés servir. Démystifions le système juridique et les procédures judiciaires. Tirons les rideaux et expliquons aux gens comment fonctionne le système.

À la Cour d’appel, nous réitérons notre engagement envers une approche communautaire, en commençant par notre visite à Windsor, le mois prochain, où nous allons, entre autres activités, rencontrer des membres du corps enseignant et des étudiants en droit de Windsor, qui célébreront le nouveau bâtiment de leur faculté de droit. J’espère, et c’est mon plan, que les juges de nos tribunaux continueront de participer à des initiatives d’éducation publique chaque fois que possible. Pour élargir notre public, je propose aussi de créer des vidéos tutorielles sur le Web pour expliquer au public les rôles différents des avocats et des juges et leur faire comprendre comment fonctionne le système judiciaire.

Le travail de mes collègues au sein de diverses commissions et dans la préparation de rapports procure aussi aux citoyens de l’Ontario et du Canada un niveau de transparence et de responsabilité dont on avait bien besoin. En novembre 2022, le juge William Hourigan a déposé le rapport de la Commission d’enquête publique sur le réseau de train léger sur rail, un projet toujours pertinent qui sera étudié pour de futurs projets de transport en commun. En février, le juge Paul Rouleau a déposé le rapport de l’Enquête publique sur l’état d’urgence déclaré, qui contenait d’importantes leçons sur le recours à la loi extraordinaire sur les mesures d’urgence et des réflexions sur des questions liées à l’intégrité institutionnelle et l’intervention publique face à des situations d’urgence. Ces rapports formateurs renforcent l’obligation de nos institutions publiques de rendre des comptes à la population de l’Ontario et du Canada.

On ne saurait trop insister sur le dernier principe directeur qui devrait nous aider à progresser. Les magistrats et les avocats doivent être représentatifs de la société si l’on veut que notre système de justice demeure pertinent et digne de la confiance du public. Nous devons nous orienter vers une plus grande diversité, notamment une diversité de races, de genres, d’orientations sexuelles et de croyances religieuses. Les jeunes de la province ne devraient jamais considérer la profession d’avocat ou de juge comme inatteignable. En tant qu’immigrant de la Jamaïque, je sais à quel point il est important de vivre dans une société qui n’impose pas de limites aux rêves des enfants.

Pour être véritablement représentatifs de la société, nous devons chaleureusement accueillir les participants au secteur de la justice qui représentent des points de vue différents. Dans la société hautement partisane d’aujourd’hui, nous nous réfugions trop souvent dans des bulles peuplées de gens qui partagent nos opinions. Nous devons activement veiller à ce que notre système judiciaire demeure un sanctuaire où les gens se sentent encouragés à échanger librement, respectueusement et positivement des points de vue conflictuels.

À l’heure où nous ouvrons une fois de plus nos tribunaux, je vous invite à réitérer votre engagement à servir la population de l’Ontario et à protéger notre système de justice. Tous les participants doivent œuvrer dans un esprit collaboratif à instaurer un système judiciaire réactif, accessible et représentatif de la société. L’heure est venue de remplir courageusement et fièrement notre devoir et nos responsabilités de longue date. C’est ainsi que nous nous engagerons à nouveau à exécuter la tâche la plus noble de préserver et d’améliorer notre système de justice pour tout le monde.

Ce site Web a été créé et est mis à jour par la bibliothèque des juges. Politiques concernant le site Web.