Ouverture des tribunaux de l’Ontario 2019

Allocution du juge en chef George Strathy à l’occasion de l’ouverture des tribunaux de l’Ontario
Le 10 septembre 2019

Introduction

Mes collègues, le juge en chef Geoffrey Morawetz et la juge en chef Lise Maisonneuve, et moi vous souhaitons la bienvenue à l’ouverture des tribunaux de l’Ontario pour 2019.

Pour le juge en chef Morawetz, c’est la première cérémonie d’ouverture des tribunaux à laquelle il prend part en qualité de juge en chef de la Cour supérieure de justice.

C’est un privilège de partager le podium avec lui. Il est pour moi un collègue et un ami depuis de nombreuses années et je me réjouis à la perspective de travailler encore avec lui et la juge en chef Maisonneuve dans les années à venir.

Vous savez que le juge en chef Morawetz remplace l’honorable Heather Smith, qui a pris sa retraite en juin de cette année après avoir occupé le poste de juge en chef de la Cour supérieure de justice pendant plus de seize ans et les fonctions de juge pendant 36 ans, ce qui est exceptionnel. Elle a été une personnalité visionnaire de la Cour supérieure de justice, pour les juges de ce tribunal et pour l’ensemble les Ontariens. Je lui souhaite que cette prochaine étape de sa vie soit des plus heureuses.

Vous avez peut–être remarqué que le juge en chef adjoint Frank Marrocco se joint à nous sur ce podium cet après–midi. En reconnaissance de son leadership de longue date à la Cour supérieure de justice, c’est à lui qu’il revient de prononcer l’allocution au nom de la Cour supérieure cet après–midi.

Célébration et collaboration

L’événement d’aujourd’hui se veut une célébration du rôle que jouent les tribunaux dans notre démocratie constitutionnelle. C’est une occasion de célébrer les éléments vitaux du fonctionnement du système judiciaire, qui sont :

  • les avocats, représentés par le trésorier du Barreau de l’Ontario, ainsi que par les dirigeants des organisations juridiques qui prennent place ici aux premiers rangs;
  • les organes législatif et exécutif du gouvernement, représentés par le Procureur général de l’Ontario et le délégué du ministre de la Justice du Canada;
  • les fonctionnaires responsables de l’administration des tribunaux, qui sont ici en grand nombre aujourd’hui; les agents d’exécution de la loi, représentés par les délégués des services de police;
  • et enfin, la magistrature, représentée par les juges et les fonctionnaires judiciaires des trois cours de l’Ontario et par nos invités venant d’autres tribunaux du pays.

Je tiens également à souligner la présence de membres des médias aujourd’hui. Eux aussi sont d’une importance capitale pour l’équilibre de notre système de justice. Leur travail contribue à conscientiser le public, favorise l’ouverture et la transparence. Ce sont là des éléments nécessaires pour préserver la légitimité de l’administration judiciaire et la confiance du public envers cette administration.

Le rôle des tribunaux

Permettez–moi de prendre quelques minutes pour vous parler du rôle des tribunaux et de certaines difficultés auxquelles nous sommes confrontés.

Les tribunaux existent pour offrir une tribune permettant la résolution sans heurt des litiges en matière civile et familiale, la protection de l’enfance et l’instruction de procès en matière pénale.

En cette séance cérémoniale des trois cours, l’humeur est, à juste titre, propice à la célébration. Cette salle d’audience est majestueuse et nos échanges se déroulent dans le calme et la dignité. Mais si vous vous présentiez ici à un autre moment et passiez la journée dans cette salle ou dans n’importe quelle des plus de 250 salles d’audience que compte notre vaste province, y compris celles du présent édifice ou celles qui se trouvent à quelques coins de rue d’ici, vous verriez que l’administration de la justice ne se passe pas toujours de manière aussi mesurée.

Il ne s’agit pas de trouver à qui la faute. Il s’y manifeste simplement la réalité des instances judiciaires et de la vie des personnes les plus touchées par ces procédures.

Lorsqu’on assiste aux audiences, ce que vous êtes nombreux à faire régulièrement, on voit un condensé de bon nombre des problèmes de société les plus graves : la pauvreté et les inégalités économiques, l’itinérance, la désintégration des familles, les toxicomanies et les maladies mentales, le sentiment d’aliénation et la solitude, la discrimination et la marginalisation, le cycle de la délinquance et du recours trop fréquent à l’incarcération, la violence et la maltraitance.

De nombreuses personnes mêlées à des instances judiciaires sont aux prises avec nombre de ces problèmes, qui sont souvent intergénérationnels. Ce sont les membres les plus vulnérables de notre société. Ils se présentent devant nous à un moment de crise, en comprenant que nos décisions risquent de bouleverser leur vie. Ils ne sont pas devant nous parce qu’ils le veulent mais bien parce qu’ils y sont obligés. Et ils sont mal outillés pour cheminer seuls dans le processus judiciaire. Pourtant, ils sont nombreux – trop nombreux – à ne pas être représentés par un avocat.

<< On juge la grandeur d’une nation à la façon dont elle traite ses membres les plus faibles >>, a dit le Mahatma Gandhi. à l’aune de quelle norme y a–t–il lieu de mesurer notre système judiciaire et comment s’y prendre pour rehausser le système jusqu’à cette norme?

Lorsqu’une personne se trouve devant les tribunaux, il nous incombe collectivement de veiller à ce qu’elle soit traitée avec impartialité et dignité et à ce que les droits que lui garantissent nos lois soient protégés et respectés. La magistrature, les avocats et l’état se partagent cette responsabilité. Cela s’applique dans le cas de qui que ce soit, mais plus spécialement dans le cas des personnes les plus vulnérables.

Tous les jours, aux quatre coins de la province, les juges s’acquittent de leur obligation d’aider les personnes non représentées par un avocat. Il y a des limites légales et pratiques à ce qu’ils peuvent faire sur ce plan. Grâce à mon expérience personnelle, qui est aussi l’expérience de chaque juge ici présent, je peux vous dire que le règlement d’une instance à laquelle une des parties n’est pas représentée par un avocat progresse à une vitesse d’escargot et que tous les secteurs du système judiciaire en supportent le coût alourdi.

Les avocats – ceux de la Couronne, de la défense et les avocats en matière civile – font de leur mieux aussi. Les avocats sont et ont toujours été disposés à offrir de l’assistance aux plaideurs non représentés. Un grand nombre des organisations ici présentes et des avocats de la province consacre d’innombrables heures aux services juridiques pro bono. Mais ils ne peuvent pas le faire seuls.

Notre système ne répond pas parfaitement à ces besoins, il n’y a jamais répondu parfaitement, mais ces problèmes ne sont pas insurmontables. Le très honorable Richard Wagner, juge en chef du Canada, l’a souligné ainsi : « Les juges, les avocats et les décideurs politiques ont déployé des efforts remarquables afin d’améliorer l’accès à la justice au cours des dernières décennies […] [Grâce à] des cliniques juridiques, des programmes de services bénévoles, des mécanismes de règlement des différends et des initiatives d’information juridique [nous avons tous contribué à] éclairer les gens sur des aspects souvent obscurs du système de justice. » Depuis plusieurs dizaines d’années, on a fait beaucoup pour améliorer l’aide juridique et l’accès à la justice.

L’état – les gouvernements qui se sont succédé – a tenté aussi, de bonne foi, de s’attaquer à ces problèmes. Ce n’est pas aux juges qu’il incombe de décider de la répartition des fonds publics. Les besoins du système de justice doivent être mis en balance avec les difficultés et exigences relatives à la santé publique, à l’éducation et à l’aide sociale et avec une foule d’autres nécessités de la société moderne. Mais ce que nous autres, juges, pouvons affirmer est qu’il n’y a pas d’économies à réaliser en réduisant les possibilités pour les membres les plus faibles de la société d’être représentés par un avocat. La durée des procès allonge, on fait peser des demandes plus lourdes sur les services publics et, en dernier ressort, les instances judiciaires s’en trouvent retardées et plus coûteuses pour tout le monde. Il est également permis d’affirmer que le fait d’accorder aux personnes les plus vulnérables de notre société une véritable possibilité de se faire entendre renforce la confiance du public dans l’administration de la justice.

Les réductions du financement de l’Aide juridique prévues récemment sont très préoccupantes pour les acteurs du système judiciaire, dont bon nombre sont ici présents. Je me sens encouragé d’apprendre que le procureur général a rencontré récemment des organisations légales pour écouter leurs inquiétudes relatives à l’aide juridique et qu’il était ouvert à un débat sur les solutions. La question est urgente. Je suis d’avis que si nous mettons à profit le savoir, la créativité et la bonne volonté des groupes concernés représentés ici, nous arriverons à trouver des solutions à ces difficultés, qui mettent à rude épreuve notre devoir commun de protéger les plus faibles.

La Cour d’appel

Passons maintenant à quelques brèves observations se rapportant à la Cour d’appel de l’Ontario.

La charge de travail de la Cour d’appel a augmenté progressivement : cette cour a rendu au cours de l’année écoulée plus de 1 000 décisions qui ont été publiées.

Pour la première fois depuis de nombreuses années, la Cour d’appel commence l’automne avec un effectif complet, sans aucun poste de juge à pourvoir. Les juges Eileen Gillese et Michael Tulloch ont repris leurs fonctions à la Cour après avoir terminé leurs enquêtes et la rédaction de leurs rapports à l’intention du gouvernement provincial. Le juge Tulloch a achevé en décembre son rapport sur les contrôles de routine policiers et la juge Eileen Gillese vient de conclure les travaux d’une commission d’enquête et un rapport sur la sûreté des résidents des établissements de soins de longue durée. L’un et l’autre ont formulé d’importantes recommandations qui sont vitales pour la protection de certains de nos citoyens les plus vulnérables et les plus marginalisés.

Notre effectif de magistrats s’est enrichi de trois nouveaux juristes accomplis l’année dernière. Le juge Benjamin Zarnett et le juge Mahmud Jamal nous arrivent directement du secteur privé, où ils ont acquis la réputation d’être deux des meilleurs avocats plaidants en droit commercial et administratif. La juge Julie Thorburn nous arrive de la Cour supérieure de justice, où elle entendait des causes civiles et pénales et dirigeait l’équipe de la Cour divisionnaire. Nous sommes ravis de les compter parmi nos collègues.

En 2019, la CBC a diffusé sur le Web deux audiences de la Cour. La première était le renvoi de l’Ontario relatif à la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre. La deuxième était l’appel relatif aux dispositions de la Loi sur l’amélioration des administrations locales qui touchaient les élections municipales à Toronto. Nous sommes heureux de l’intérêt des médias pour la diffusion de nos audiences et nous nous attendons à ce qu’il y ait d’autres occasions de diffuser celles qui ont une importance et un intérêt pour le public.

J’ai le plaisir d’annoncer qu’en 2019, avec l’aide du ministère du Procureur général, nous avons tenu un processus d’approvisionnement concurrentiel pour acquérir un nouveau système de gestion électronique des causes pour la Cour d’appel et que nous devrions adjuger un marché cet automne. Lorsqu’il sera entièrement mis en place, ce système de gestion des causes doit accroître notre efficacité au travail, réduire nos délais de réponse aux demandes d’information des médias et du public et accroître l’efficacité de notre classement électronique.

L’année 2019 marque également le vingtième anniversaire du Programme d’assistance juridique pour appels interjetés par des détenus. Créé par le regretté Marc Rosenberg avec la collaboration de Marie Henein et d’Alison Wheeler, ce programme montre brillamment un des domaines dans lesquels nous avons Å“uvré en coopération à l’amélioration de l’accès à la justice ces dernières décennies. Dans le cadre de ce programme, des avocats de la défense chevronnés offrent bénévolement l’assistance d’un avocat de service à des détenus de Kingston et de Toronto qui n’ont pas d’avocat. Ce programme est géré en coopération sous la direction et avec le soutien des magistrats, des avocats du secteur privé, des avocats de la Couronne, du ministère du Procureur général, du personnel des tribunaux et du personnel des services correctionnels de toute la province. Ce programme en est à sa vingtième année et nous en sommes très fiers.

Pour conclure le bilan des activités de la Cour d’appel, je tiens à souligner le leadership extraordinaire et accompli de la juge en chef adjointe, Alexandra Hoy, de notre greffier, Daniel Marentic, et de notre l’avocate principale, Falguni Debnath. Ils font la grande fierté de notre Cour.

Conclusion

Notre système de justice a vraiment de quoi nous rendre fiers. Au fil des décennies, nous y avons fait d’importantes améliorations et nous continuons d’en faire. Nous avons pour faiblesse d’avoir encore de la difficulté à répondre aux besoins juridique de certains des membres les plus vulnérables de notre société. Pour l’avenir, il nous faut trouver des moyens d’améliorer, et non de réduire, les services que nous fournissons pour combler ces besoins.

Je vous remercie.

Ce site Web a été créé et est mis à jour par la bibliothèque des juges. Politiques concernant le site Web.