Ouverture des tribunaux de l’Ontario 2013

Allocution du juge en chef Warren K. Winkler
Palais de justice de Toronto
Le 24 septembre 2013

Distingués invités, Mesdames et Messieurs, je vous remercie d’être venus aujourd’hui, à l’occasion de cette séance spéciale de trois tribunaux de l’Ontario.

Je suis très heureux de vous accueillir parmi nous pour cet important événement annuel.

Aujourd’hui est une journée très spéciale pour deux raisons. La plus importante est qu’elle marque l’ouverture des tribunaux dans notre merveilleuse province de l’Ontario, symbolisant la société libre et démocratique que nous nous efforçons constamment de protéger. À titre personnel, cette journée est notable, car en décembre de cette année, j’atteindrai l’âge de la retraite obligatoire. Aujourd’hui sera donc la dernière séance d’ouverture des tribunaux que je présiderai à titre de juge en chef, mais je me réjouis déjà d’assister à de nombreuses autres cérémonies aussi joyeuses que celle-ci dans les années à venir.

L’ouverture des tribunaux a toujours eu un sens profond pour moi. Depuis que je suis devenu juge en chef, il y a plus de six ans, je me suis efforcé de renforcer la proéminence de cette manifestation et de la rendre plus festive. Le Barreau a accueilli mon idée avec enthousiasme et a été d’une aide précieuse pour la planification et l’annonce de l’événement. Le nombre de participants présents aujourd’hui témoigne de ses efforts.

Dans cet esprit de célébration, il est juste et opportun que nous décernions, aujourd’hui, le prix Catzman à deux membres du Barreau qui l’ont bien mérité (Derry Millar et David Roebuck (à titre posthume)). Cette distinction, nommée en l’honneur de feu l’honorable Marvin Catzman, est décernée chaque année, à l’occasion de l’ouverture des tribunaux, par l’Advocates’ Society et la famille Catzman, pour reconnaître une civilité et un professionnalisme particulièrement exceptionnels.

Pour conserver l’esprit de célébration que nous avons instauré, le service interconfessionnel annuel de ce matin, auquel ont assisté plusieurs grands guides spirituels et membres de la profession juridique, a été transformé en une joyeuse célébration musicale. Nous remercions la juge Julie Thorburn de son leadership exemplaire et de ses talents de directrice musicale créative.

La tradition d’organiser une cérémonie pour marquer l’ouverture des tribunaux remonte au Moyen-Âge. La cérémonie se déroulait à l’automne pour commémorer l’ouverture de la cour d’assises. Fidèles à la tradition, nous célébrons cette journée, en septembre, comme le début de l’« année juridique » traditionnelle selon la common law. Cette célébration symbolique est l’occasion de prendre le temps de remercier ceux et celles qui servent le public en veillant au maintien de notre système de justice juste et équitable et de la primauté du droit. La primauté du droit garantit que notre société est libre et démocratique et qu’elle continuera d’être pacifique, civile et respectueuse de tous. Les juges et les avocats sont les garants de ces principes. Ils veillent à ce que notre système judiciaire soit à la fois juste et équilibré. Notre magistrature impartiale et indépendante alliée à un barreau indépendant et autoréglementé sont des institutions que nous devons protéger jalousement.

Tout aussi essentielles sont les nombreuses autres personnes au service du public qui travaillent sans relâche à l’administration impartiale de la justice. Il s’agit notamment de nos représentants élus, de ceux et celles qui travaillent dans l’administration, ainsi que dans divers autres services : décisionnels, policiers, communautaires et d’application de la loi. Merci de votre importante contribution pour défendre nos valeurs sociétales au quotidien.

La tradition demeure le pilier fondamental de nos tribunaux et de notre système de justice. Cependant, aussi précieuses et inestimables que soient nos traditions, elles doivent laisser la porte ouverte à l’innovation opportune. Chaque étudiant en droit apprend la métaphore que notre droit est un arbre vivant qui doit subir des changements pour évoluer au rythme du temps. Ces deux aspects, tradition et adaptation, sont indissociables et essentiels à la croissance de la common law. En fait, la réforme progressive du droit est elle-même une partie importante de notre riche héritage juridique.

Une majorité écrasante des gens s’accordent à dire que pour survivre, le système de justice, tel que nous le connaissons, doit subir des changements en profondeur afin d’assurer aux membres du public un meilleur accès à la justice. Ce sont nous, les avocats et juges, qui devons être les agents du changement et apporter cette réforme tant attendue.

La juge en chef Beverley McLachlin a défendu cette cause et souligné que l’accès à la justice est la question la plus pressante à laquelle nous sommes confrontés. Dans sa foulée, de nombreux particuliers et organismes ont érigé en priorité l’accès à la justice. Le juge Thomas Cromwell a joué un rôle de premier plan à cet égard en présidant le Comité d’action sur l’accès à la justice en matière civile et familiale, le trésorier Thomas Conway a créé un groupe consultatif sur l’accès à la justice, l’Association du Barreau canadien a organisé récemment un sommet national et produit un rapport intitulé « Nouveau regard sur l’égalité devant la justice », et la Commission du droit de l’Ontario a publié des rapports sur le droit de la famille et le droit de l’emploi en mettant l’accent sur l’accès à la justice. Nous félicitons ces personnes et organisations pour leur engagement envers cette cause.

Ces projets génèrent une foule d’idées et de propositions créatives pour la réforme du système juridique. Nous avons besoin de visionnaires. Le temps est toutefois venu de mettre en œuvre ces idées. C’est bien beau de rêver et de réfléchir, mais il faut aller plus loin – nous devons agir et concrétiser ces rêves et réflexions si nous voulons parvenir à mettre en place des changements nécessaires. Comme Thomas Edison l’a fait observer, « La vision sans exécution n’est qu’hallucination ».

Il y a néanmoins une bonne nouvelle : nous faisons des progrès, lentement je l’avoue, mais des progrès tout de même. Lorsque tant de personnes mettent la main à la pâte, l’effort prend de l’envol et des objectifs sont atteints. Cependant, comme le voyageur de Robert Frost, nous avons beaucoup de promesses à remplir et de kilomètres à parcourir avant d’aller dormir. Nous devons donc persévérer : nous devons commencer par instituer des réformes précises, qui ciblent des domaines où le besoin de changement est urgent, comme le droit de la famille. Avec le temps, nous pourrons nous lancer dans des réformes de plus grande envergure qui viseront le système judiciaire dans son ensemble : « chercher, lutter, trouver, et ne rien céder ». (Vous avez certainement reconnu cette citation qui est la dernière ligne d’Ulysse de Tennyson.)

Les thèmes liés de la tradition et de l’innovation conduisent naturellement à une discussion sur la Cour d’appel. La Cour d’appel, un tribunal qui est lui-même ancré dans une glorieuse tradition, traverse une période de transition sans précédent pour ses effectifs.

En décembre dernier, le juge en chef adjoint Dennis O’Connor a pris sa retraite, après une carrière judiciaire exemplaire. La juge Alexandra Hoy lui a succédé et elle s’est rapidement et tranquillement forgée une réputation de dirigeante sage et fiable de notre Cour. Pendant la période de transition avant sa nomination, le juge Stephen Goudge a assumé les fonctions administratives de juge en chef adjoint. Au nom de toute la Cour, je remercie le juge Goudge de son assistance compétente.

Pendant mon mandat de juge en chef, neuf juges ont été nommés à la Cour. L’année passée, notre Cour a bénéficié de la nomination du juge Peter Lauwers et du juge George Strathy. Nous souhaitons la bienvenue à nos nouveaux collègues et nous réjouissons de travailler avec eux dans les années à venir.

Outre le départ à la retraite du juge en chef adjoint O’Connor, il y a eu deux autres départs dans notre Cour l’année passée. Nos éminents collègues, les juges Robert Armstrong et Susan Lang, ont pris leur retraite après une longue et distinguée carrière à la magistrature. Ces trois juges ont apporté intelligence, sagesse et expériences à la Cour d’appel. Je peux affirmer avec certitude que l’influence de nos juges à la retraite se fera sentir pendant de nombreuses années.

Au printemps dernier, nous avons été profondément attristés par le décès prématuré de notre cher et estimé collègue, le juge Edward Ducharme. C’était un homme d’une énorme richesse intellectuelle et respectueux des principes, dont la décence faisait ressortir ce qu’il y a de mieux dans les gens. Nous avons subi une perte tragique, à un tel point que nous n’en réaliserons peut-être jamais pleinement les lourdes conséquences.

En cette période de réflexion sur la composition de la Cour et sur le rôle de la tradition dans notre système juridique, je suis fier d’annoncer que le livre tant attendu sur l’histoire de la Cour d’appel sera publié en 2014. L’éminent historien juridique Christopher Moore met la dernière main au manuscrit, qui sera publié par l’Osgoode Society l’année prochaine. Ce livre, financé par une subvention de la Fondation du droit de l’Ontario, nous aidera à mieux comprendre l’histoire de la Cour d’appel et constituera une contribution précieuse à l’histoire juridique du Canada.

Malgré le rythme des changements aux effectifs de la magistrature à la Cour et les postes qui sont restés vacants (il y a actuellement quatre postes vacants), la Cour n’a pas cessé de traiter sa charge de travail dans de bons délais.
Les appels en matière civile sont généralement entendus dans les cinq mois qui suivent leur mise en état et les appels en droit criminel, dans les quatre mois.

Dans presque tous les cas, les juges de la Cour ont publié leurs jugements détaillés et motivés dans le délai de six mois ciblé.

Passons maintenant en revue le programme d’échange et de sensibilisation de la Cour.

En octobre dernier, les membres de la Cour ont participé à une réunion conjointe avec les membres de la Cour d’appel du Québec, présidée par le juge en chef Duval Hesler à Québec. C’était la deuxième réunion des cours d’appel des deux plus grandes provinces du Canada. La première avait eu lieu il y a deux ans, en 2010, à Ottawa. À mon avis, ces conférences constituent un pont, un lien, non seulement entre les tribunaux, mais également entre des langues et des cultures judiciaires. C’est une merveilleuse tradition qui, je l’espère sincèrement, se maintiendra.  Cet échange ne concerne pas seulement la Cour ou les tribunaux, il concerne le Canada.

J’ai eu l’honneur d’assister, il y a à peine deux semaines, à Montréal, à l’ouverture des tribunaux du Québec. Je suis ravi que les trois juges en chef des tribunaux du Québec soient présents, aujourd’hui, pour célébrer avec nous. Cet échange témoigne des solides rapports qui se sont établis entre les tribunaux de nos deux provinces, dans les meilleures traditions de notre magnifique pays.

Dans le cadre des activités courantes de sensibilisation judiciaire de la Cour d’appel, des représentants de la Cour visitent une région différente de l’Ontario chaque année. Le mois prochain, les juges de notre Cour se rendront à Ottawa. Nous attendons avec impatience de rencontrer des juges locaux, des avocats et des étudiants et professeurs de la faculté de droit de l’Université d’Ottawa. Pour beaucoup d’entre nous, la chance de discuter avec des professeurs de cette faculté de droit dynamique et innovante sera un des points saillants de l’année. Nos étudiants en droit sont notre force future et la source naturelle de notre profession.

Voilà, je conclus là mon rapport sur la Cour d’appel. Comme je l’ai dit au début de mon allocution, en décembre, je prendrai ma retraite après presque vingt ans à la magistrature, dont un tiers que j’ai eu l’honneur et le privilège de passer en qualité de juge en chef. Je me réjouis des années à venir et je ressens une émotion douce-amère dans l’espoir que je pourrai continuer à servir avec vous, dans d’autres capacités, pour relever le grand défi auquel est confronté notre système de justice. J’espère que je trouverai, dans les mots de Tennyson, « qu’un certain travail de noble caractère, qui ne messied pas aux hommes, peut encore être accompli ».

Ces six dernières années ont été particulièrement merveilleuses. Il y a trop de gens à nommer, mais j’aimerais remercier ma famille, mes amis et mes collègues, et chacun d’entre vous, de vos conseils judicieux et de votre soutien affectueux. Dans la tempête et sous le soleil, vous avez constamment été à mes côtés.

Pour conclure, je reprendrai les mots du poète français Lamartine :

Ô temps ! suspends ton vol, et vous, heures propices !
Suspendez votre cours :
Laissez-nous savourer les rapides délices
Des plus beaux de nos jours !

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