Juge Kerry P. Evans

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Dans l’affaire des plaintes concernant M. le juge Kerry P. Evans

DEVANT : Mme la juge Louise Charron, Cour d’appel de l’Ontario
  M. le juge J. David Wake, juge en chef adjoint, Cour de justice de l’Ontario
  M. Henry G. Wetelainen
  Mme Jocelyne Côté-O’Hara
AVOCATS : Avocats présentant la cause
  M. Douglas C. Hunt, c.r.
  M. Michael J. Meredith
  M. Donald Park
  Avocats de M. le juge Kerry P. Evans
  M. Brian H. Greenspan
  M. Seth P. Weinstein

MOTIFS DES DÉCISIONS

[1] Le Conseil de la magistrature de l’Ontario a tenu une audience conformément aux paragraphes 51.4 (18) et 49 (16) de la Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.O. 1990, chap. 43, concernant des plaintes formulées contre M. le juge Kerry P. Evans selon lesquelles celui-ci se serait conduit d’une manière incompatible avec l’exercice convenable de ses fonctions. Les détails de ces plaintes figurent à l’annexe A.

[2] Pendant l’audience, qui s’est échelonnée sur neuf jours, le Conseil a entendu huit plaignantes ainsi que d’autres témoins qui ont fourni une preuve à l’appui, 14 témoins appelés à comparaître pour le juge Evans et qui, pour la plupart, ont fourni une preuve de moralité, et le juge Evans lui-même. Pendant les périodes en cause, les huit plaignantes occupaient un poste dans l’appareil judiciaire à Barrie et dans d’autres palais de justice satellites. Toutes les allégations ont trait à la conduite du juge Evans hors de la salle d’audience. D’après la plupart d’entre elles, le juge Evans aurait touché les plaignantes de façon inconvenante, et ces actes auraient été parfois de nature sexuelle. D’après d’autres allégations, le juge Evans aurait proféré des remarques déplacées à connotation sexuelle. Les incidents en question se sont produits de 1999 à décembre 2002, jusqu’à la suspension du juge Evans.

[3] Le Conseil juge à l’unanimité que bon nombre des détails ont été prouvés et que, par conséquent, il y a eu inconduite. Nos constatations de fait s’appuient essentiellement sur des questions de crédibilité. Pour cette raison, les membres du comité sont parvenus à la même conclusion mais, parfois, pour des motifs différents. Cependant, chacun s’est fondé sur les principes exposés ci-après.

[4] Pour commencer, le Conseil s’est penché sur la notion d’inconduite dans le cas d’un juge. Pour ce faire, nous nous sommes appuyés sur les motifs donnés par la Cour suprême du Canada dans Therrien (Re), [2001] 2 R.C.S. 3. La Cour, dans le contexte d’une enquête sur la conduite d’un juge, a discuté du rôle du juge dans la société canadienne. L’analyse de la Cour sur cette question est pertinente, et nous la reprenons intégralement :

3. Le rôle du juge :  » une place à part  »

108 La fonction judiciaire est tout à fait unique. Notre société confie d’importants pouvoirs et responsabilités aux membres de sa magistrature. Mis à part l’exercice de ce rôle traditionnel d’arbitre chargé de trancher les litiges et de départager les droits de chacune des parties, le juge est aussi responsable de protéger l’équilibre des compétences constitutionnelles entre les deux paliers de gouvernement, propres à notre État fédéral. En outre, depuis l’adoption de la Charte canadienne, il est devenu un défenseur de premier plan des libertés individuelles et des droits de la personne et le gardien des valeurs qui y sont enchâssées : Beauregard, précité, p. 70, et Renvoi sur la rémunération des juges de cours provinciales, précité, par. 123. En ce sens, aux yeux du justiciable qui se présente devant lui, le juge est d’abord celui qui dit la loi, qui lui reconnaît des droits ou lui impose des obligations.

109 Puis, au-delà du juriste chargé de résoudre les conflits entre les parties, le juge joue également un rôle fondamental pour l’observateur externe du système judiciaire. Le juge constitue le pilier de l’ensemble du système de justice et des droits et libertés que celui-ci tend à promouvoir et à protéger. Ainsi, pour les citoyens, non seulement le juge promet-il, par son serment, de servir les idéaux de Justice et de Vérité sur lesquels reposent la primauté du droit au Canada et le fondement de notre démocratie, mais il est appelé à les incarner (le juge Jean Beetz, Présentation du premier conférencier de la Conférence du 10e anniversaire de l’Institut canadien d’administration de la justice, propos recueillis dans Mélanges Jean Beetz (1995), p. 70-71).

110 En ce sens, les qualités personnelles, la conduite et l’image que le juge projette sont tributaires de celles de l’ensemble du système judiciaire et, par le fait même, de la confiance que le public place en celui-ci. Le maintien de cette confiance du public en son système de justice est garant de son efficacité et de son bon fonctionnement. Bien plus, la confiance du public assure le bien-être général et la paix sociale en maintenant un État de droit. Dans un ouvrage destiné à ses membres, le Conseil canadien de la magistrature explique :

La confiance et le respect que le public porte à la magistrature sont essentiels à l’efficacité de notre système de justice et, ultimement, à l’existence d’une démocratie fondée sur la primauté du droit. De nombreux facteurs peuvent ébranler la confiance et le respect du public à l’égard de la magistrature, notamment : des critiques injustifiées ou malavisées; de simples malentendus sur le rôle de la magistrature; ou encore toute conduite de juges, en cour ou hors cour, démontrant un manque d’intégrité. Par conséquent, les juges doivent s’efforcer d’avoir une conduite qui leur mérite le respect du public et ils doivent cultiver une image d’intégrité, d’impartialité et de bon jugement.

(Conseil canadien de la magistrature, Principes de déontologie judiciaire (1998), p. 14)

111 La population exigera donc de celui qui exerce une fonction judiciaire une conduite quasi irréprochable. À tout le moins exigera-t-on qu’il paraisse avoir un tel comportement. Il devra être et donner l’apparence d’être un exemple d’impartialité, d’indépendance et d’intégrité. Les exigences à son endroit se situent à un niveau bien supérieur à celui de ses concitoyens. Le professeur Y.-M. Morissette exprime bien ce propos :

[L]a vulnérabilité du juge est nettement plus grande que celle du commun des mortels, ou des « élites » en général : c’est un peu comme si sa fonction, qui consiste à juger autrui, lui imposait de se placer hors de portée du jugement d’autrui.

( » Figure actuelle du juge dans la cité  » (1999), 30 R.D.U.S. 1, p. 11-12)

Le professeur G. Gall, dans son ouvrage The Canadian Legal System (1977), va encore plus loin à la p. 167 :

[TRADUCTION] Les membres de notre magistrature sont, par tradition, astreints aux normes de retenue, de rectitude et de dignité les plus strictes. La population attend des juges qu’ils fassent preuve d’une sagesse, d’une rectitude, d’une dignité et d’une sensibilité quasi-surhumaines. Sans doute aucun autre groupe de la société n’est-il soumis à des attentes aussi élevées, tout en étant tenu d’accepter nombre de contraintes. De toute façon, il est indubitable que la nomination à un poste de juge entraîne une certaine perte de liberté pour la personne qui l’accepte.

[5] Il ressort de cette analyse qu’un large éventail de comportements peuvent représenter une inconduite méritant réprobation, comme le laisse entendre le paragraphe 51.6 (11) de la Loi sur les tribunaux judiciaires, qui prévoit une série de sanctions possibles :

51.6 (1) Lorsque le Conseil de la magistrature décide de tenir une audience, il le fait conformément au présent article.

(11) Une fois qu’il a terminé l’audience, le Conseil de la magistrature peut rejeter la plainte, qu’il ait conclu ou non que la plainte n’est pas fondée ou, s’il conclut qu’il y a eu inconduite de la part du juge, il peut, selon le cas :

a) donner un avertissement au juge;

b) réprimander le juge;

c) ordonner au juge de présenter des excuses au plaignant ou à toute autre personne;

d) ordonner que le juge prenne des dispositions précises, telles suivre une formation ou un traitement, comme condition pour continuer de siéger à titre de juge;

e) suspendre le juge, avec rémunération, pendant une période quelle qu’elle soit;

f) suspendre le juge, sans rémunération mais avec avantages sociaux, pendant une période maximale de trente jours;

g) recommander au procureur général la destitution du juge conformément à l’article 51.8.

[6] Donc, l’inconduite d’un juge peut résulter de comportements mineurs méritant un avertissement ou une réprimande, ou aller jusqu’à des incidents d’une gravité telle qu’ils justifient la destitution. La Cour suprême du Canada a décrit le genre de conduite qui mériterait cette sanction grave dans Therrien, au paragraphe 147 :

Aussi, avant de formuler une recommandation de destitution à l’endroit d’un juge, doit-on se demander si la conduite qui lui est reprochée porte si manifestement et si totalement atteinte à l’impartialité, à l’intégrité et à l’indépendance de la magistrature qu’elle ébranle la confiance du justiciable ou du public en son système de justice et rend le juge incapable de s’acquitter des fonctions de sa charge (Friedland, op. cit., p. 89-91).

[7] La sanction à imposer en l’espèce n’a pas encore été déterminée. Les avocats n’ont pas fait d’observations sur cette question car, évidemment, l’issue de cette enquête reposera sur les constatations particulières du Conseil quant à l’inconduite. Le Conseil a donc évité la question de la sanction pendant ses délibérations. Cependant, il a tenu compte de la gravité relative de chaque allégation, qui se répercute sur la norme de preuve à appliquer.

[8] La norme de preuve nécessaire pour accueillir une plainte pour inconduite professionnelle a varié au fil des ans mais semble s’être stabilisée. Dans Law Society of Upper Canada v. G.N., [2003] L.S.D.D. No. 41 (L.S.U.C.), le comité renvoie à des observations de M. Gavin MacKenzie, expert des procédures disciplinaires professionnelles, parues dans son ouvrage Lawyers and Ethics: Professional Responsibility and Discipline, aux pages 26-40 à 26-42 :

[TRADUCTION]

Les paramètres suivants sont désormais reconnus :

a) La norme de preuve est celle qui est appliquée en matière civile plutôt que la norme criminelle, c’est-à-dire la preuve hors de tout doute raisonnable, même si l’inconduite alléguée représente également une infraction criminelle : Camgoz v. College of Physicians and Surgeons (Saskatchewan) (1989), 74 Sask. R. 73 (C.A.); Miller v. Saskatchewan Psychiatric Nurse’s Association (1992), 103 Sask. R. 61 (Q.B.); Bater v. Bater (1950), 2 All E.R. 458 (C.A.); Hryciuk v. Ontario (Lieutenant Governor) (1994), 18 O.R. (3d) 695 (Div. Ct.); Re Khaliq-Kareemi v. Nova Scotia (Health Services and Insurance Commission) (1988), 84 N.S.R. (2d) 425 (T.D.), infirmée pour d’autres motifs par (1989), 89 N.S.R. (2nd) 388 (C.A.), demande de pourvoi à la C.S.C. refusée (1989), 93 N.S.R. (2nd) 269 (S.C.C.); et Glassman v. College of Physicians and Surgeons (Ontario), [1966] 2 O.R. 81 (C.A.);

b) Cette norme est toutefois proportionnelle à la gravité de l’allégation et de ses conséquences; si les allégations sont graves, le juge des faits doit examiner le bien-fondé de la preuve plus soigneusement qu’il n’aurait à le faire, par exemple, dans un cas de négligence moyenne;

c) Pour accueillir une allégation d’inconduite professionnelle ou de conduite indigne d’un avocat, il faut disposer d’une preuve claire, convaincante et forte : Coates v. Ontario (Registrar of Motor Vehicle Dealers and Salesman) (1988), 52 D.L.R. (4th) 272 (Div. Ct.); R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103 (C.S.C.); Hryciuk, (op. cit.); Beckon v. Ontario (Deputy Chief Coroner) (1992), 9 O.R. (3rd) 256 (C.A.); Lanford v. General Medical Council (1990), 1 A.C. 13 (P.C.); Gillen v. College of Physicians and Surgeons (Ontario) (1989), 68 O.R. (2nd) 278 (Div. Ct.).

Le Conseil accepte et adopte ces paramètres.

[9] Dans son évaluation de la crédibilité, le Conseil a tenu compte du fait qu’il ne devait pas s’agir d’un concours de crédibilité. À cet égard, il s’est appuyé essentiellement sur les directives que le juge de première instance adresse au jury dans un procès criminel, sous réserve évidemment du fait que la norme de preuve, comme nous venons de le mentionner, est différente.

[10] Cette enquête s’appuie dans une grande mesure sur les témoignages de moralité. Comme nous l’avons indiqué, 14 personnes ont témoigné de la réputation du juge Evans, qui serait reconnu dans la collectivité comme étant honnête, intègre et convenable. Tous les témoins, sauf deux, occupent un poste dans le secteur judiciaire : greffier, sténographe, agent de police, juge de paix, avocat, instructeur de droit ou juge. Chaque témoin de moralité a été appelé à passer en revue un recueil de témoignages comprenant de nombreuses lettres d’appui de membres de la collectivité recueillies par le juge Evans ou par ses avocats. Bien que ce recueil ne fasse pas partie de la preuve, son contenu, de même que le fait que ces témoins de moralité connaissent personnellement le juge Evans, ont formé le fondement probatoire de leur témoignage.

[11] Chaque témoin de moralité a attesté de la très haute estime à laquelle le juge Evans est voué dans la collectivité. De nombreux témoins ont souligné sa compassion, qu’il  » fait tout en son pouvoir pour aider les autres « , que personne n’hésiterait à lui demander conseil ou à se confier à lui. Un autre juge a décrit le juge Evans comme étant la  » conscience de la cour « . Le juge Evans est également considéré comme un besogneur pour qui l’éducation juridique dans la collectivité revêt le plus grand intérêt. Tout le monde considère le juge Evans comme une personne très amicale et accessible.

[12] En plus de cette preuve générale de réputation, les avocats du juge Evans ont interrogé tous les témoins, y compris les plaignantes, sur la réputation qu’a le juge Evans de se tenir très proche de ses interlocuteurs et d’être démonstratif, en leur demandant si, selon eux, le juge Evans aimait toucher les gens. Tous les témoins se sont entendus pour affirmer que le juge Evans avait l’habitude de se tenir assez proche de ses interlocuteurs, au point où ceux-ci devaient parfois reculer. Ils ont soutenu que son espace personnel était beaucoup plus restreint que la moyenne des gens. Tous ont convenu que le juge Evans était une personne exubérante, qui touchait les gens en leur parlant : il leur prenait le bras, passait le bras sur leurs épaules, leur donnait des tapes sur les épaules, leur touchait les mains ou leur donnait des tapes dans le dos. D’après la plupart des témoins, le juge Evans agissait de la sorte aussi bien avec les hommes qu’avec les femmes. Les témoins de moralité ont affirmé que cette habitude ne les dérangeait pas; il s’agissait pour eux d’un reflet de la personnalité chaleureuse et enthousiaste du juge Evans. D’autres ont convenu, toutefois, que certaines personnes prendraient ombrage de pareille conduite. En outre, certains des témoins de moralité qui sont des collègues du juge Evans ont témoigné qu’ils lui avaient déjà dit en passant, mais à plusieurs reprises, qu’il se tenait trop proche d’eux quand ils discutent et qu’il devrait reculer. Nous y reviendrons.

[13] Nous avons tenu compte de la preuve de moralité lors de l’évaluation des différents témoignages conformément aux principes qui s’appliquent aux procès criminels. Une preuve de bonne moralité ajoute à l’improbabilité que l’accusé a commis une infraction de même qu’à la crédibilité de ce dernier [R. v. Tarrant (1981), 63 C.C.C. (2d) 385 (Ont. C.A.)]. Dans les cas d’allégations d’inconvenance sexuelle, il semble que la preuve de moralité ne parvienne pas aussi bien à appuyer l’hypothèse selon laquelle une personne est peu susceptible d’avoir commis l’infraction en cause [R. c. Profit, [1993] 3 R.C.S. 637]. Après tout, l’inconduite sexuelle ne se produit généralement pas en public et, dans la plupart des cas, n’influera donc pas sur la réputation de moralité d’une personne dans la collectivité. Cependant, bien que cette observation soit très probante dans la plupart des cas d’inconvenance sexuelle alléguée, dans la mesure où la conduite en question a eu lieu dans un endroit public, il y a lieu d’examiner attentivement le témoignage de moralité afin d’évaluer la vraisemblance des allégations [R. v. Strong, [2001] O.J. No. 1362 (C.A.)].

[14] Eu égard à ces principes, nous avons constaté que la preuve de réputation est plus utile pour parvenir à une conclusion concernant les actes qui, d’après les allégations, se sont produits en public. Nous en avons également tenu compte pour évaluer la crédibilité relativement à certaines des rencontres privées qui forment l’objet de la présente audience.

[15] Nous avons tiré nos conclusions concernant chaque plainte en nous fondant sur une évaluation de la preuve liée directement à l’incident en question. Cependant, pour évaluer le bien-fondé de cette preuve, nous avons tenu compte de temps à autre d’autres allégations dont la ressemblance n’était pas, selon toute probabilité, une simple coïncidence. Soulignons à cet égard qu’il n’y a aucune allégation de collusion en l’espèce. Néanmoins, nous avons examiné soigneusement la preuve en ce qui a trait au moment où a été déposée chaque plainte et tout contact entre les plaignantes. Rien ne nous permet de soupçonner que les témoins auraient collaboré.

[16] Une ordonnance interdisant la publication de renseignements pouvant identifier le témoin a été rendue dans le cas de cinq des huit plaintes, à la demande de la plaignante, conformément au paragraphe 51.6 (9) de la Loi sur les tribunaux judiciaires. Dans le cas d’une plaignante, qui se trouvait dans une situation particulière, nous avons déterminé à huis clos la portée précise de l’ordonnance de non-publication qui permettrait de protéger son identité, après avoir reçu des observations de tous les intéressés, y compris son avocat et les avocats du Toronto Star et du Globe and Mail. L’ordonnance de non-publication qui s’applique à cette plaignante est donc de plus grande portée que d’habitude. Conformément à l’esprit de ces ordonnances, aucune des plaignantes n’est désignée par son nom dans la présente, ce qui protège mieux l’identité des plaignantes qui ont demandé une protection. Chaque plaignante est désignée par une initiale qui ne correspond pas à son vrai nom. En outre, l’emploi qu’occupe chaque plaignante n’est pas mentionné. À titre indicatif, les plaignantes occupaient des postes de greffière, de sténographe judiciaire, de secrétaire de juge ou d’agente de probation.

[17] Avant de nous pencher sur chacune des allégations de chaque plaignante, nous formulons des observations générales sur l’habitude bien connue du juge Evans de se tenir très proche de ses interlocuteurs et de les toucher. D’entrée de jeu, nous tenons à préciser qu’à notre avis, cette habitude est un reflet des nombreuses qualités qui ont été attribuées au juge Evans, notamment qu’il est chaleureux, compatissant, amical, accessible, énergique et même exubérant. De toute évidence, le juge Evans et la collectivité ont su tirer profit de ces traits de personnalité. Cependant, comme l’ont souligné explicitement un certain nombre de témoins de moralité, il est facile d’imaginer que certains pourraient trouver ce comportement importun et déplaisant.

[18] Tout dépend de la personne visée. Agir de cette façon à l’égard d’amis, de parents ou de collègues se situant au même échelon hiérarchique est une chose, mais le faire à l’égard de subordonnés en est une autre. Il est à la fois irréaliste et injuste de s’attendre à ce qu’un employé fasse valoir auprès d’une personne ayant autorité son droit au respect de son espace personnel avec confiance, sans crainte de représailles. Le sexe de l’employé ajoute un autre aspect à la question de la proximité; en l’occurrence, il s’agit exclusivement de femmes. Lorsque l’employée est du sexe opposé, il y a un risque qu’elle considère que la conduite en question, qu’elle soit délibérée ou accidentelle, porte atteinte à son intégrité sexuelle. En effet, le fait de toucher les fesses, les jambes ou la région pelvienne ou génitale sans offrir immédiatement ses excuses pourrait être considéré de façon légitime comme un contact sexuel indésirable.

[19] Par conséquent, il ne peut pas incomber à l’employée d’établir une limite; cette tâche revient au juge Evans. Comme il ressort de notre analyse, nous croyons qu’à maintes reprises, le juge Evans a fait preuve d’une insensibilité troublante à l’égard de la  » zone de sécurité  » d’autres personnes. À quelques reprises, il est allé nettement trop loin.

Mme A

[20] Nous commencerons par le témoignage de Mme A, car certains des incidents dont elle a parlé se sont produits il y a le plus longtemps, probablement en 1999. Mme A devait se rendre au cabinet du juge Evans de temps à autre pour lui faire signer des documents. Elle a comparu devant nous et a été décrite comme étant une personne très professionnelle qui tient à protéger sa vie privée et qui semble plutôt nerveuse. Elle a déclaré qu’à plusieurs reprises, le juge Evans lui a causé de l’embarras parce qu’il se tenait trop près d’elle, lui tapotait ou frottait le bras, ou lui tapotait l’épaule ou la nuque. Elle a affirmé lui avoir dit deux fois qu’il était un peu trop près d’elle, lui demandant de se placer à quelques pieds de distance. Chaque fois, il s’est exécuté. Mme A a ajouté qu’elle avait menti au juge Evans en affirmant avoir épousé un agent de police, parce qu’elle voulait qu’il pense qu’elle avait quelqu’un dans sa vie. Le juge Evans a convenu qu’il s’agissait d’une des premières choses qu’elle lui avait dites lorsqu’ils ont commencé à travailler ensemble.

[21] Le témoignage de Mme A sur ces incidents nous est apparu tout à fait crédible. Non seulement il était conforme à la preuve déposée sur l’habitude du juge Evans de toucher ses interlocuteurs et de se placer près d’eux, mais il a été étayé par le témoignage d’autres plaignantes, selon qui la proximité du juge Evans les mettait mal à l’aise. Nous mentionnons certains de ces témoignages plus loin.

[22] Le témoignage de Mme A cadrait également avec un autre incident que le juge Evans lui-même a relaté. Interrogé par son avocat sur cette question d’invasion de l’espace personnel, le juge Evans a reconnu qu’une ancienne employée, qui n’est pas impliquée dans nos délibérations, s’était déjà plainte de sa conduite. Selon lui, cette employée lui aurait dit qu’à cause de certains incidents qui s’étaient produits dans son enfance, elle se sentait mal à l’aise quand il se tenait trop près d’elle. Il a dit que cette plainte l’avait embarrassé et que par la suite, il avait tenu compte de ses réserves. Cet incident rappelle beaucoup le témoignage de Mme A.

[23] Comme nous l’avons déjà dit, il est inacceptable qu’une employée telle que Mme A soit contrainte de demander à une personne ayant autorité de respecter son espace personnel. Cette employée a le droit de travailler dans un environnement où elle n’est pas exposée à de tels empiétements indésirables.

[24] Mme A a mentionné un autre incident qui montre que le juge Evans n’a pas respecté son espace personnel comme elle le lui avait demandé. Cet incident se serait produit dans le cabinet du juge Evans où, pendant une conversation, ce dernier l’a touchée dans la région pelvienne, à un endroit qu’elle a montré, qui semblait être une partie de l’abdomen située du côté gauche, juste sous l’os de la hanche. Leurs déclarations divergent quelque peu en ce qui a trait à la teneur de leur conversation, mais il semble évident qu’ils discutaient de difficultés professionnelles que Mme A éprouvait avec un homme. Mme A a témoigné que pendant cette conversation, le juge Evans s’est levé de son bureau pour se rapprocher d’elle, qui se tenait debout devant le bureau les bras croisés, et lui a dit qu’elle pourrait  » l’empoigner ici « . Il a alors touché de la main la région mentionnée. Elle en a déduit qu’il lui suggérait de frapper l’homme en question dans la région du pénis. Elle en est restée bouche bée, a reculé sans rien dire, et la conversation a pris fin peu après. Après cet incident, Mme A évitait de se trouver seule avec le juge Evans. Ainsi, elle a dit à son superviseur qu’elle avait l’intention de ne plus aller seule dans son cabinet. Cependant, elle s’y présentait qui il l’y convoquait.

[25] Le juge Evans a témoigné qu’il était seul dans son cabinet avec Mme A à l’heure du déjeuner un jour où elle est venue discuter avec lui d’un problème professionnel qu’elle éprouvait avec un homme. Elle était visiblement bouleversée. Le juge Evans a dit que Mme A est une personne nerveuse, et qu’elle semblait sur le point d’éclater en sanglots. Elle lui a dit qu’elle avait peur de cet homme, et il lui a conseillé de faire appel à la police, et d’en parler à son mari, croyant qu’elle avait épousé un agent de police. Il lui a conseillé également d’en parler à ses collègues de travail pour qu’ils surveillent le parc de stationnement si elle devait prendre sa voiture tard en soirée. Il lui a dit ensuite :  » Au pire, attirez-le sur la rue principale de Collingwood ou dans le parc de stationnement de l’épicerie, puis criez-lui après le plus fort que vous pouvez et dites-lui de vous foutre la paix.  » Il s’est alors levé de son bureau pour rejoindre Mme A, qui était debout. D’après son témoignage, le juge Evans lui a alors conseillé ce qui suit :

Je lui ai dit,  » s’il s’approche de vous, vous allez devoir le frapper « , et je lui ai frappé la jambe avec la main. Elle m’a répondu,  » on va m’accuser de voies de fait « .  » Mais non « , que je lui ai dit.  » Il faut que vous fassiez quelque chose, autrement personne n’en saura rien.  »

Le juge Evans a également témoigné qu’il n’avait pas l’intention de la frapper pendant la conversation, qu’il s’agissait d’un accident et qu’elle n’avait pas semblé y réagir à ce moment-là.

[26] Même en s’appuyant sur le témoignage du juge Evans sur les circonstances qui ont mené au contact physique en question, on ne peut justifier ces actes démonstratifs qui, compte tenu de la proximité de Mme A, ont abouti inévitablement à un empiétement sur son espace personnel. Mme A a été plutôt bouleversée par cet incident et en a parlé à des amis, y compris un agent de police et un juge. Elle a dit qu’à ces deux derniers, elle a fait peu de cas de l’incident en disant qu’on l’avait touchée à la jambe, ne voulant pas les obliger à s’occuper de la situation. Elle ne voulait pas perdre le contrôle de la situation et craignait de révéler l’incident. Une des amies à qui Mme A a parlé de ces incidents était Mme B, une autre plaignante.

[27] Raisonnablement et objectivement, il ne serait pas inconcevable pour Mme A de conclure que ces contacts physiques avaient une connotation sexuelle. En fait, le juge Evans a témoigné qu’on lui avait dit que Mme A avait averti les autres employés du fait qu’il se tenait trop proche de ses interlocuteurs, et il a déclaré qu’il était très contrarié à l’idée que cette conduite pouvait avoir pareille connotation. C’est en effet le risque de se livrer à pareille conduite, et ce qui la rend d’autant plus inacceptable.

[28] Mme A a témoigné au sujet d’un autre incident lors duquel le juge Evans l’a appelée chez elle vers 23 heures, qui justifie la gêne que lui cause la conduite du juge Evans. Encore une fois, les versions divergent quelque peu quant aux motifs de l’appel et à la teneur de la conversation, mais ces divergences ne sont pas significatives. Il semble évident, tant selon Mme A que selon le juge Evans, que les motifs de l’appel étaient de nature professionnelle. Mme A dormait, et le coup de fil l’a réveillée. Pendant la conversation, le juge Evans a dit, selon Mme A :  » Maintenant que vous êtes réveillée, vous pouvez faire l’amour avec votre conjoint  » ou, selon lui :  » Désolé de vous avoir réveillée, mais j’imagine que votre mari ne sera pas déçu « . Quoi qu’il en soit, le juge Evans avoue que ses propos avaient une connotation sexuelle et qu’ils étaient déplacés.

[29] Le juge Evans ne s’est pas conduit de façon appropriée à l’égard de Mme A.

Mme B

[30] Mme B a rencontré le juge Evans à la fin des années 1970, époque à laquelle elle a travaillé avec lui pendant deux étés. Elle l’a revu brièvement en 1995 ou 1996. Le 5 septembre 2000, elle a assisté à la cérémonie d’assermentation du chef de police de Barrie avec son mari. Après la cérémonie, elle a assisté à une réception où se trouvaient de 70 à 100 personnes. Elle a remarqué que le juge Evans s’y trouvait. Elle a témoigné qu’elle se sentait mal à l’aise de le saluer car son amie, Mme A, lui avait parlé de lui. Elle a déclaré toutefois qu’elle se sentait à l’abri de tout comportement déplacé en raison de son âge, de la situation et de sa relation avec le juge Evans. À un moment donné pendant la réception, le juge Evans et Mme B se sont trouvés dans le même groupe d’invités et se sont salués. Mme B a dit que le juge Evans lui a serré la main droite tout en lui donnant une accolade avec le bras gauche; lorsqu’ils se sont rapprochés l’un de l’autre, Mme B a senti le dos de la main du juge Evans sur sa région pelvienne. Elle a reculé, pensant qu’il lui avait  » fait une passe « .

[31] Pendant son témoignage, Mme B a montré comment elle et le juge Evans s’étaient salués. Le témoignage du juge Evans sur cet incident a été très semblable. Il s’est rappelé de la rencontre et de la façon dont il avait salué Mme B; cependant, il a affirmé qu’il ne s’était pas rendu compte que sa main était entré en contact avec elle de la façon dont elle l’a décrit. Mme B a reconnu qu’elle ne pouvait écarter la possibilité que ce geste ait été accidentel. Cependant, elle croyait qu’il était délibéré parce qu’autrement, elle se serait attendu à ce que le juge Evans s’excuse ou soit embarrassé, ce qui ne s’est pas produit. Le juge Evans a rétorqué qu’il ne pouvait s’excuser puisqu’il ne s’était pas rendu compte de ce contact.

[32] Nous ne doutons pas de la sincérité de Mme B ni du fait qu’elle juge honnêtement que ce contact ait été délibéré. Cependant, compte tenu de la façon dont elle et le juge Evans se sont salués, il est possible que le contact avec sa région pelvienne ait été accidentel.

[33] Il importe toutefois de souligner que cet incident démontre les torts que peut causer l’habitude du juge Evans de se placer près de ses interlocuteurs. Mme B a été plutôt choquée par cet incident, et elle a dit en avoir parlé à son mari après leur départ. Elle en a également fait mention à son superviseur moins d’une semaine après. Cependant, elle a décidé de ne donner suite à sa plainte que beaucoup plus tard, après qu’elle eut appris l’acquittement du juge Evans lors d’un procès criminel pour des attouchements semblables. Elle a alors pensé qu’elle avait l’obligation de révéler l’incident, bien qu’elle l’ait fait à contrecÅ“ur. Un comportement plus prudent aurait permis d’éviter cet incident, qui l’a beaucoup troublée.

Mme C

[34] Nous traiterons maintenant du témoignage de Mme C. L’incident impliquant Mme C a fait l’objet d’une accusation criminelle contre le juge Evans, qui a été acquitté à l’issue de son procès. Essentiellement, le juge de première instance n’était pas convaincu hors de tout doute raisonnable que le juge avait commis une agression délibérée et, plus particulièrement, une agression sexuelle délibérée.

[35] Le 3 décembre 2002, le juge Evans et Mme C bavardaient dans le cabinet du juge pendant une suspension d’audience. Leurs déclarations sur le contenu précis de cette conversation varient un peu, mais en voici essentiellement la teneur. Alors qu’ils discutaient des cadeaux de Noël à offrir à l’épouse du juge Evans, Mme C a suggéré une balade en hélicoptère, précisant que le cousin de son mari, un pilote, pourrait l’emmener. Le juge Evans a demandé de quoi son cousin avait l’air. Mme C a répondu qu’il était jeune et beau, et le juge Evans a réagi à la blague en montrant ce qu’il devrait faire au pilote. Mme C a témoigné que le juge Evans a placé la main sur sa fourche, par-dessus sa toge, et a dit en substance :  » Eh bien, je vais devoir lui pointer un fusil juste là, alors.  » Dans son témoignage, le juge Evans a montré comment il a pointé l’index de la main droite vers le haut, puis abaissé le bras en disant essentiellement  » il faudra le descendre « , entrant accidentellement en contact avec le devant de la toge de Mme C. Les gestes et paroles de ces deux versions donnent à penser que le juge Evans, à la blague évidemment, viserait la région génitale du pilote d’hélicoptère avec un fusil ou ferait feu à cet endroit.

[36] Il ne fait aucun doute que le juge Evans a touché la région génitale de Mme C avec la main. Il reste à savoir si cet acte était délibéré ou accidentel. Évidemment, nous ne sommes pas liés par la décision du juge de première instance au procès criminel. Nous pouvons également entendre la preuve dans un contexte beaucoup plus large qu’à ce procès. Néanmoins, compte tenu de la gravité de l’allégation, nous devons appliquer une norme de preuve qui se rapproche beaucoup de la norme en matière criminelle, c’est-à-dire une preuve hors de tout doute raisonnable.

[37] Nous ne sommes pas convaincus hors de tout doute raisonnable que le juge Evans avait l’intention d’agresser sexuellement Mme C en la touchant délibérément entre les jambes. Cependant, à notre avis, étant donné que Mme C se trouvait très proche du juge Evans pendant cette partie de la conversation, ce dernier, à tout le moins, aurait dû savoir qu’il risquait de toucher une partie du corps de Mme C avec la main. Nous jugeons qu’il a agi de façon imprudente, sans tenir compte de Mme C et en manquant de respect à son égard. Cet incident se rapproche donc de façon troublante des deux autres incidents impliquant Mmes A et B.

[38] Le juge Evans ne s’est pas excusé lorsque sa main est entrée en contact avec Mme C. Selon le témoignage de celle-ci, il lui aurait plutôt tapoté le derrière et dit  » allons-y « , avant d’entrer dans la salle d’audience. Nous acceptons ce témoignage. Une autre plaignante a déclaré en effet s’être fait tapoter les fesses avant d’entrer dans la salle d’audience. Nous traitons de ces allégations plus loin. Évidemment, il s’agit d’une conduite tout à fait inacceptable.

[39] D’autres incidents impliquant Mme C, qui ne sont pas énumérés dans l’avis d’audience, précisent le contexte de la situation et étayent notre conclusion selon laquelle le juge Evans a empiété de façon déplacée sur l’espace personnel de Mme C. Nous acceptons le témoignage de celle-ci selon lequel le juge Evans a déjà écarté ses cheveux qui tombaient devant ses yeux, pris un jujube dans sa poche et le lui a mis dans la bouche malgré qu’elle eût résisté, et avait l’habitude de se placer trop près d’elle, ce qui la mettait mal à l’aise. Le juge Evans reconnaît que les incidents concernant les cheveux et le bonbon se sont produits, mais les a placés dans un contexte différent. Malgré tout, nous sommes d’avis que ses actes étaient injustifiés et déplacés.

Mme D

[40] Mme D a témoigné au sujet d’un certain nombre d’incidents lors desquels, à son avis, le juge Evans l’a touchée de façon inconvenante.

[41] Mme D et le juge Evans ont témoigné sur un premier incident lors duquel le juge Evans, qui voulait consoler et aider Mme D, très bouleversée par un témoignage entendu dans la salle d’audience, a tenté de lui enlever sa toge, selon Mme D, ou la lui a effectivement enlevée, selon le juge Evans. Mme D n’a rien trouvé d’anormal à cet incident à ce moment-là. Ce n’est que plus tard, à la lumière d’autres incidents, qu’elle a conclu qu’il avait été inconvenant pour le juge Evans de lui détacher sa toge à l’arrière et de l’enlever. On ne sait trop pourquoi il était nécessaire d’enlever la toge de Mme D, mais il est vrai qu’elle était alors très bouleversée, et qu’il s’agissait de la consoler. Compte tenu des circonstances, il nous semble inutile de formuler d’autres observations sur cet incident. Mme D a mentionné les autres incidents suivants.

[42] Vers février 2001, Mme D et le juge Evans travaillaient au palais de justice de Collingwood. Juste avant l’ouverture, Mme D est allée chercher le juge Evans dans son cabinet. Pendant qu’elle attendait qu’il mette fin à une conversation téléphonique, elle est restée dans le couloir, à côté du cabinet, le dos au mur, et a baissé brièvement les yeux. Elle l’a entendu raccrocher et se diriger vers elle. Il lui a pris les mains, y a glissé les doigts et l’a poussée contre le mur, qui était environ un pied derrière elle. Il a mis sa poitrine contre la sienne et l’a acculée au mur. Elle se souvient qu’il lui a dit quelque chose, mais ne se rappelle pas quoi, ni comment elle s’est échappée exactement. Le juge Evans s’est éloigné d’elle puis s’est dirigé vers la salle d’audience.

[43] Mme D a témoigné qu’elle était renversée du fait que le juge Evans se serve ainsi d’elle  » comme si je n’étais rien « . À la première suspension de la matinée, elle a glissé les bras dans sa toge pour éviter d’être à nouveau touchée. Le juge Evans a essayé de lui prendre les mains, mais ses manches étaient vides. Il lui a demandé ce qui n’allait pas, et elle a répondu,  » ce n’est rien, j’ai un peu froid « . Elle a témoigné qu’après l’incident, elle se mettait toujours les mains dans sa toge pour les garder hors de portée. Elle n’a parlé à personne de cet incident ce jour-là dans la salle d’audience, parce que le juge  » est tout-puissant  » et qu’elle craignait que personne ne la croie.

[44] Deux autres juges ont témoigné avoir observé Mme D déambulant avec les bras sous sa toge. L’un d’entre eux a dit qu’elle était toujours comme ça, même dans sa salle d’audience. L’autre a dit qu’il l’avait remarqué souvent; il a ajouté que Mme D n’aimait pas les toges dotées d’une fermeture éclair sur le devant, mais elle avait toujours les mains dans sa toge. La démarche particulière de Mme D amusait les juges, qui l’appelaient  » la sÅ“ur volante « .

[45] Le 2 août 2001, deux employés de la cour et Mme D, avec le juge Evans, ont emprunté un véhicule du gouvernement pour aller au palais de justice de Collingwood. Le groupe s’est arrêté pour acheter du café. À leur retour à la voiture, Mme D était debout à côté de la portière et du juge Evans, en attendant que le chauffeur déverrouille les portières. Alors qu’elle montait dans la voiture, le juge Evans lui a empoigné la fesse gauche.

[46] Mme D était stupéfaite que pareille chose se produise au beau milieu d’un parc de stationnement public. Cependant, elle n’en a parlé à personne à part son mari. Elle s’est juré de faire quelque chose si jamais il la touchait encore. Après l’incident du parc de stationnement, Mme D n’a pas travaillé avec le juge Evans pendant le reste de 2001.

[47] Cependant, pendant les mois de février, d’avril, de juin et de septembre 2002, Mme D a travaillé à l’occasion avec le juge Evans. Elle a témoigné que chaque fois qu’elle ouvrait les portes pour aller à la salle d’audience, le juge Evans la touchait au bras, ou elle sentait sa poitrine ou son ventre contre elle, ce qui la mettait mal à l’aise. Souvent il avait des jujubes dans sa poche et lui en offrait. Il fallait qu’elle refuse fermement et qu’elle recule pour éviter qu’il essaie de lui en mettre un dans la bouche.

[48] Pendant le contre-interrogatoire, Mme D a confirmé qu’un jour, elle et le juge Evans se sont disputés et que le ton avait monté. Cet incident s’est produit lors de l’ouverture du nouveau palais de justice de Collingwood, en août 2001. Elle a témoigné qu’elle était notamment chargée de faire respecter les protocoles, y compris une nouvelle mesure de sécurité conçue pour limiter l’accès au cabinet du juge et aux environs. Elle a eu alors un différend sérieux avec le juge Evans concernant le fait qu’il n’était permis à personne de revenir sans autorisation dans son cabinet. Elle a fait part de cet incident à son superviseur, et n’a pas été affectée au juge Evans pendant un certain temps.

[49] Nous convenons que Mme D s’est sentie très gênée, sinon consternée, par le fait que le juge Evans la touchait inutilement pendant qu’elle faisait son travail. Nous acceptons son témoignage selon lequel en février 2001, le juge Evans lui a touché les mains et s’est tenu si près d’elle que son corps est entré en contact avec le sien. Nous acceptons également son témoignage sur les occasions où elle a travaillé avec le juge Evans en 2002, et où elle avait l’impression qu’il se tenait tellement proche qu’elle sentait contre elle son bras ou d’autres parties de son corps. Ce témoignage est conforme à ceux de presque tous les autres témoins dans cette enquête, et il est crédible. De nombreux témoins ont déclaré que la proximité du juge Evans ne les dérangeait pas et ne représentait qu’une manifestation de son tempérament amical; d’autres ont ressenti le besoin de lui demander de reculer et l’ont fait, mais tous ont souligné que cette conduite était très typique du juge Evans. Comme nous l’avons déjà mentionné, nous croyons que cette conduite est déplacée à l’égard d’employés tels que Mme D, qui est mal placée pour oser dire au juge Evans de reculer, et ne devrait pas se sentir obligée de le faire.

[50] Passons maintenant à l’incident qui s’est produit dans le parc de stationnement et que le juge Evans a nié. On n’a pas affirmé que le juge aurait pu toucher accidentellement la fesse de Mme D alors qu’elle montait dans la voiture, mais plutôt que cet incident était improbable étant donné la distance entre le juge Evans et Mme D pendant qu’ils ouvraient leur portière respective. Nous rejetons cet argument. À notre avis, cet incident tel que décrit par Mme D est tout à fait plausible. Tout repose donc sur la crédibilité.

[51] Nous avons examiné attentivement la totalité du témoignage de Mme D. En tout temps, et particulièrement pendant le contre-interrogatoire, Mme D a témoigné avec beaucoup d’empressement et de spontanéité. En soi, son témoignage était tout à fait crédible, et il était également conforme aux autres témoignages. Par exemple, soulignons que cet incident se serait produit juste avant l’ouverture du palais de justice de Collingwood, voire le matin même. Le juge Evans et Mme D ont rendu compte de façon semblable des discussions animées qu’ils ont eues plus tard ce jour-là. Le juge Evans a convenu que cette attitude n’était pas typique de Mme D. Le témoignage concorde également avec l’affirmation du juge Evans selon laquelle Mme D n’a plus travaillé avec lui pendant assez longtemps après ce jour-là. La conduite de Mme D donne à penser que l’incident s’est produit tel qu’elle l’a décrit. En effet, son attitude à l’égard du juge Evans a considérablement changé par la suite.

[52] En outre, Mme D n’est pas la seule à affirmer qu’elle a été touchée à la fesse de façon inconvenante. Nous avons déjà examiné le témoignage de Mme C, qui a déclaré que le juge Evans lui avait tapoté la fesse alors qu’ils entraient dans la salle d’audience. Nous verrons plus loin le témoignage de Mme F, qui se souvient avoir fait l’objet de la même conduite à deux reprises. Mentionnons également le témoignage de Mme E, qui est encore plus semblable au compte rendu de cet incident. La ressemblance de ces allégations contredit l’affirmation selon laquelle les témoins se trompent ou mentent. Nous sommes convaincus que le juge Evans a touché la fesse de Mme D alors qu’ils montaient dans la voiture, dans le parc de stationnement du restaurant McDonald.

Mme E

[53] Mme E a témoigné au sujet d’un incident qui s’est produit à la fête de Noël de la Simcoe County Criminal Lawyers’ Association en décembre 2000 dans les bureaux d’un groupe d’avocats de Barrie. Elle discutait avec des invités dans un coin; le juge Evans était debout à côté d’elle, puis il a allongé le bras et lui a touché les fesses. Elle était un peu étonnée, mais n’a rien dit et a continué de discuter avec le groupe.

[54] Mme E a témoigné qu’elle n’avait pas beaucoup pensé à l’incident à ce moment-là. Elle a convenu que le contact a été momentané, sans pour autant le décrire comme étant furtif. Elle a dit qu’elle est certaine d’avoir été touchée. Elle a été contre-interrogée concernant sa déclaration à la police, selon laquelle elle n’était pas convaincue que l’attouchement était intentionnel et a témoigné qu’à bien y penser, elle croyait qu’il l’était effectivement. Appelée à décrire la pression exercée, elle a dit que le juge lui avait  » empoigné  » la fesse, mais pas brutalement, sans laisser de traces;  » on m’a pelotée, si je puis dire « . Pendant le contre-interrogatoire, elle a convenu qu’elle avait dit dans sa déclaration à la police qu’elle n’était pas sûre si le juge Evans lui avait empoigné la fesse, expliquant qu’à ce moment-là, elle voulait dire qu’il avait serré fort, mais dans son témoignage, elle a utilisé les mots anglais  » grab « ,  » touch  » ou  » feel  » (empoigner, toucher, peloter) pour décrire l’acte en question, reconnaissant que ces mots n’ont pas toujours la même signification.

[55] Ce n’est qu’après avril 2001 que Mme E a parlé de l’incident à quelqu’un, en l’occurrence l’homme avec qui elle avait commencé à sortir et qui est maintenant son mari. Ce dernier a témoigné et confirmé que Mme E lui avait dit que le juge Evans lui avait mis la main sur la fesse lors d’une fête de Noël. Selon lui, cet incident n’avait pas semblé l’alarmer outre mesure. Il ne sait trop si Mme E lui a dit effectivement ou si elle lui a laissé entendre que ce contact avait été plutôt momentané, qu’il ne valait pas la peine de s’en plaindre, qu’elle ne savait pas s’il avait été de nature sexuelle ou si le juge Evans avait simplement la main un peu baladeuse.

[56] Le juge Evans se souvient d’avoir assisté à la fête de Noël en question, mais pas d’avoir parlé à Mme E ni même de l’y avoir rencontrée. Il nous semble tout à fait plausible qu’il ait pu oublier qui il a rencontré ou à qui il a parlé à cette fête. Cependant, à notre avis, le témoignage de Mme E ne perd pas sa crédibilité. Nous sommes persuadés qu’il s’agit d’un autre incident où le juge Evans, en raison de son attitude trop amicale, et parce qu’il aime trop toucher les gens, est allé trop loin et a eu une conduite déplacée.

Mme F

[57] Mme F travaillait au palais de justice de Barrie. Elle a témoigné qu’un jour de février 2001, le juge Evans l’a appelée chez elle vers 19 heures, alors qu’elle s’était assoupie. Le juge Evans lui a dit qu’il avait besoin d’aide pour faire des photocopies et lui a demandé de le rencontrer au palais de justice. Elle a dit qu’elle n’avait pas envie de ressortir car c’était l’hiver. Cependant, elle avait l’impression qu’elle lui devait une faveur parce qu’il lui avait été très utile; il l’écoutait, l’aidait et l’avait traitée en amie.

[58] Le juge Evans était dans son cabinet, et Mme F y est entrée. Le juge Evans a fermé la porte et s’est assis sur le divan et Mme F a fait de même. Le juge Evans a parlé d’une foule de choses; il lui a posé des questions sur ce que serait un petit ami idéal pour elle, ce qui la rendrait heureuse. Ils ont également discuté de différents aspects de la vie personnelle de Mme F, mais pas de photocopie. Mme F a dit qu’elle ne savait pas comment c’était arrivé, mais qu’ils avaient fini par danser, sans musique. Pendant qu’ils dansaient, le juge Evans continuait de lui poser les mêmes questions sur sa vie personnelle. Elle a regardé l’heure et décidé que s’il n’y avait pas de photocopies à faire, elle rentrerait chez elle faire de l’exercice. À la porte, juste avant son départ, il l’a embrassée. Elle s’est sentie mal à l’aise, mais pas menacée. Elle n’a toutefois pas réagi car elle n’aime pas les conflits. Quelques jours plus tard, le juge Evans l’a appelée; elle ne se souvenait pas de ses propos exacts, mais elle a jugé qu’il lui présentait ses excuses. À la fin de la conversation, il a dit :  » Tu ne m’as pas repoussé.  » D’après elle, il voulait dire qu’il n’y avait pas de problème car elle n’avait pas résisté.

[59] Mme F a également témoigné qu’à quelques reprises, le juge Evans lui a donné  » une tape sur les fesses  » avant d’entrer dans la salle d’audience. Ce geste l’irritait. Cependant, elle n’y voyait rien de sexuel, mais plutôt une tape  » comme ou en voit au football « , c’est-à-dire, selon nous, un geste visant à stimuler l’esprit d’équipe. Le juge Evans n’a pas nié avoir tapé sur le postérieur de Mme F comme elle l’a décrit. Il a témoigné qu’ils avait de bons rapports, et que comme avec d’autres greffières, il était d’usage de se donner des tapes dans le dos :  » Quand on entre dans la salle d’audience, on frappe la personne, et je veux dire par là que je les tape du revers de la main.  » Il a convenu qu’il est possible qu’il soit entré en contact avec les fesses de Mme F lorsqu’il l’a tapotée par-dessus sa toge, mais a nié l’avoir fait délibérément. Il ne fait aucun doute que même dans le contexte de l’esprit d’équipe, cette conduite est tout à fait déplacée.

[60] La situation de Mme F a été définie plus précisément lors du contre-interrogatoire. Mme F a témoigné qu’au début de 2001, il y avait relativement peu de temps qu’elle occupait son poste, et qu’elle le trouvait stressant. Elle a dit qu’elle éprouvait alors des problèmes personnels, et qu’elle fondait souvent en larmes. Elle a reconnu avoir discuté de certains de ces problèmes avec le juge Evans, qui a fait des démarches pour lui donner accès à une aide professionnelle. Elle s’est rappelé vaguement une conversation au sujet des chiens et du fait qu’elle aimerait en avoir un; elle s’est souvenu que le juge Evans lui a donné en cadeau un chien en peluche, et elle a convenu que ce geste l’avait touchée. On lui a dit qu’à ce moment-là, elle aurait embrassé le juge Evans, au point où il ne s’agissait plus que d’un simple geste amical, et qu’elle s’était excusée. Elle a témoigné qu’elle ne s’en souvenait pas, et que si ça s’était produit, elle s’en rappellerait.

[61] Le juge Evans a déclaré qu’il avait rencontré Mme F pour la première fois à l’automne 2000. Elle lui a demandé conseil concernant des questions personnelles. Pendant cette première conversation, elle lui a dit qu’elle était irritée de faire des erreurs pendant son travail. Il lui a demandé si quelque chose n’allait pas, et elle lui a répondu qu’elle faisait de l’insomnie et qu’elle prenait des somnifères. Pendant la journée, elle était somnolente et faisait des erreurs, de sorte qu’elle craignait de perdre son emploi. Pendant cette conversation, elle a également parlé d’un problème personnel, et le juge Evans lui a recommandé un psychologue. Lors de leur deuxième conversation, il lui a dit qu’il avait appelé le médecin en son nom et elle l’a remercié. Cependant, elle craignait de ne pas avoir les moyens de payer les séances, et il lui a recommandé de prendre un second emploi au marché aux puces local.

[62] Pendant une troisième conversation, le juge Evans a témoigné que Mme F lui avait dit qu’elle éprouvait des difficultés amoureuses. Il a témoigné qu’elle avait abordé le sujet, et qu’elle lui avait dit qu’elle se retrouvait toujours avec un homme qui ne lui convenait pas. Il lui a demandé quel genre d’homme elle désirait, et ils ont continué de discuter à ce sujet. Le juge Evans a convenu qu’ils avaient eu une conversation sur l' » homme idéal  » et sur ce qui la rendrait heureuse, mais il a témoigné que cette conversation avait eu lieu à un autre moment et s’était déroulée de manière différente. Il a nié l’avoir appelée à son domicile en février 2001 pour qu’elle vienne au bureau l’aider à faire des photocopies. Il a déclaré plutôt que cette troisième conversation s’était déroulée dans son cabinet, une fois la journée de travail terminée. Il a reconnu lui avoir alors donné un chiot en peluche, pour qu’elle ait un chien à qui parler. La conversation s’est terminée vers 18 heures, et alors qu’elle sortait du cabinet, Mme F a commencé à pleurer et à rire un peu, et elle a donné une accolade au juge Evans. Il a dit également qu’elle était revenue l’embrasser sur la bouche, et qu’il l’a embrassée également, pendant environ cinq secondes. Selon le juge Evans, lui et Mme F se seraient alors détachés brusquement et se seraient excusés. Bien qu’il ait nié l’avoir appelée chez elle en février 2001, le juge Evans a témoigné qu’il l’a peut-être appelée à la maison pour  » voir comment elle allait  » à d’autres occasions, sans pour autant se rappeler l’avoir fait.

[63] Les versions de Mme F et du juge Evans concordent à bien des égards. Il est évident qu’ils entretenaient de bons rapports; le juge Evans l’a d’ailleurs dit expressément dans son témoignage. Mme F traversait une période difficile de sa vie; elle a discuté de bon nombre de ses problèmes personnels avec le juge Evans, ce qui lui a été très utile. C’est là tout à fait conforme à la preuve de moralité que nous avons entendue.

[64] Cependant, les deux versions comportent des incohérences importantes. Selon le juge Evans, à part les tapes sur le postérieur, l’incident dans son cabinet n’avait consisté qu’en un moment où d’abord Mme F puis lui-même, sous le coup de l’émotion, avaient ressenti le besoin de s’embrasser. Par contre, selon Mme F, le juge Evans a abusé de sa situation d’autorité pour faire venir Mme F dans son cabinet et lui faire une proposition amoureuse. Pour trancher, nous devons donc nous appuyer sur la crédibilité.

[65] Mme F a semblé une personne très douce et aimable. Elle ne ressentait aucune animosité envers le juge Evans; au contraire, elle lui était reconnaissante pour son assistance et son amitié. Elle a témoigné sans exagérer et de façon équitable. Par exemple, invitée à commenter la version de l’incident du baiser donnée par le juge Evans, elle a répondu simplement à chaque question qu’elle ne se souvenait pas que cela s’était produit. Pendant le réinterrogatoire, appelée à dire si l’incident s’était déroulé d’une certaine façon, elle a témoigné qu’elle s’en souviendrait si cela avait été le cas.

[66] Le témoignage du juge Evans sur ses rapports avec Mme F n’a pas semblé aussi crédible. Sa description de trois rencontres distinctes, de nature essentiellement professionnelle, qu’il aurait eues avec Mme F ne cadrait pas avec la teneur très personnelle des propos qu’ils ont échangés. En fait, sa déclaration a semblé incongrue par rapport à la preuve abondante sur sa nature amicale, compatissante et empressée, et au fait qu’il l’a appelée une ou deux fois à la maison pour lui demander comment elle allait.

[67] Le témoignage de Mme F sur les propositions amoureuses du juge Evans sont étayées par un témoignage semblable de la prochaine plaignante, que nous examinons ci-dessous. Selon l’ensemble de la preuve, nous sommes persuadés que l’incident qui s’est produit dans le cabinet du juge Evans s’est déroulé comme l’a décrit Mme F.

Mme G

[68] Mme G a décrit pour commencer un incident qui s’est produit en 1999, après que le juge Evans l’eut aidée à préparer un affidavit dont elle avait besoin pour obtenir des prêts d’études, car elle comptait retourner à l’université dans l’Ouest du pays. Un soir, il l’a appelée à la maison à 23 heures 30 pour lui dire qu’il avait signé l’affidavit. Elle l’a remercié et lui a demandé de le glisser dans la boîte aux lettres interne au bureau, mais il a dit qu’il passerait le lui remettre chez elle ce soir-là, et elle a répondu  » d’accord « . Elle était étonnée qu’il connaisse son numéro de téléphone. Elle lui a peut-être donné son adresse par téléphone; elle ne s’en souvenait pas. Elle vivait dans un logement locatif dans une maison située à environ trois minutes du palais de justice. Un autre membre du personnel du tribunal était propriétaire de la maison et vivait à l’étage. Le juge Evans est resté environ 15 minutes, et à son départ, il a dit à Mme G de ne rien dire à cet autre membre du personnel, car sa visite serait mal jugée. Pendant le contre-interrogatoire, il est ressorti que le juge Evans devait lui apporter l’affidavit en personne pour qu’elle le signe en sa présence et qu’il le reçoive. Le témoin a indiqué que ce n’était pas vrai, et que les choses ne se sont pas déroulées de cette façon. Le juge Evans lui a également donné une lettre de références, puis elle est retournée aux études, et est retournée à son ancien poste au palais de justice de Barrie en septembre 2001.

[69] Mme G a témoigné qu’elle avait eu des conversations personnelles avec le juge Evans, surtout au sujet de ses choix de carrière. Il l’aidait en lui donnant des conseils. À l’automne 2001, elle a commencé à avoir une liaison avec un avocat, M. M. Mme G a témoigné que le juge Evans l’a appelée chez elle un soir, après le dîner, ou à l’heure du dîner. Il lui a dit :  » J’ai entendu dire que vous aimez bien un certain avocat.  » Elle a répondu :  » Oui.  »  » Est-ce que vous me mettez au défi de dire à M. M. que vous l’aimez bien?  » a-t-il ajouté.  » Pourquoi pas?  » a-t-elle dit.  » Qu’allez-vous me donner en échange? Coucheriez-vous avez moi? Coucheriez-vous avec un gros gars qui a une grosse queue?  » a dit le juge Evans. Il a ajouté qu’il avait des problèmes conjugaux et lui a demandé si elle voulait avoir une aventure avec lui. Elle lui a dit qu’elle n’avait pas de rapports sexuels en dehors d’une relation. Elle était stupéfaite et craignait pour son emploi si elle parlait de cet incident à quelqu’un. À l’époque, elle n’avait pas la sécurité d’emploi. Elle en a parlé à sa sÅ“ur, et aussi à M. M mais sans entrer dans les détails. Mme G n’a pas été contre-interrogée sur cet incident.

[70] Mme G a dit ensuite qu’elle avait pris congé pendant cinq semaines pendant la période de Noël 2001 et qu’elle avait envoyé des cartes de Noël à plusieurs personnes, y compris au juge Evans. Dans sa carte, elle a ajouté une note le remerciant des conseils qu’il lui avait donnés sur un emploi possible. À son retour, alors qu’ils se trouvaient dans le cabinet du juge Evans, elle lui a demandé s’il avait bien reçu la carte. Il l’a alors embrassée et lui a fait une accolade pour lui souhaiter joyeuses fêtes. Ensuite, cependant, il ne s’est pas éloigné et a dit :  » Ce n’est pas ce que je veux.  » Il l’a alors embrassée avec la langue.  » Des gens pourraient entrer « , a-t-elle dit. Il a alors fermé la porte, a recommencé et lui a demandé de répéter :  » Dis, « Kerry, j’aime que tu m’embrasses » « . Elle a commencé par dire  » Kerry  » mais elle n’a pu continuer; elle a dit :  » Je n’ai vraiment pas l’habitude de dire ce genre de choses « , et  » il faut que je me prépare pour l’audience « . Elle a pensé à déposer une plainte officielle mais craignait de perdre son emploi. À la fin de la journée, dans le parc de stationnement, il lui a fait un signe lui demandant de s’approcher de lui avec sa voiture; elle a baissé sa fenêtre et il lui a dit :  » Merci. Merci pour aujourd’hui.  » À son avis, il l’a remerciée pour le baiser ou pour n’avoir rien dit. Mme G n’a pas été contre-interrogée sur cet incident non plus.

[71] Mme G a ensuite décrit un incident qui se serait produit au Shirley’s Bar : le juge Evans serait allée la rejoindre à son siège, aurait mis les mains sur ses cuisses et l’aurait embrassée. D’après le contre-interrogatoire sur cet incident, il semble que M. Regan, un ami du juge Evans, aurait été présent pendant toute la soirée. Le témoin a convenu que M. Regan accompagnait le juge Evans, mais pas au moment précis de l’incident. Elle a reconnu qu’elle ne se sentait pas bien ce soir-là car une petite amie de M. M était venue. Dans une déclaration antérieure à la police, Mme G avait dit que le juge Evans lui avait donné un baiser sur la joue. Elle a soutenu dans son témoignage qu’il s’agissait en fait d’un baiser sur les lèvres et qu’elle avait fait erreur lors de sa déclaration à la police. Elle a dit que la police accordait plus d’intérêt à l’incident qui s’est produit au palais de justice. Mme G a entrepris des poursuites civiles contre le juge Evans conjointement avec Mme D.

[72] Le juge Evans a soutenu que ces incidents avec Mme G ne se sont pas produits. Il a fait un témoignage détaillé sur les circonstances qui ont entouré la livraison de l’affidavit chez elle. Il a dit l’avoir livré en hiver, et non en été. Il est allé au bureau après le dîner un jeudi soir, et se préparait à l’audience qui devait avoir lieu à Collingwood le lendemain. Dans la pile de documents sur son bureau, il a trouvé l’affidavit que sa secrétaire avait tapé à sa demande pour la demande de prêt d’études de Mme G. Celle-ci lui avait laissé une note lui demandant de l’avertir lorsque l’affidavit serait prêt, mais elle ne lui avait pas dit que c’était urgent. Néanmoins, le juge Evans l’a appelée chez elle peu après 23 heures et lui a dit que l’affidavit était prêt et qu’elle devrait passer au palais de justice le lendemain pour le signer. Elle lui a dit qu’elle avait été malade ce jour-là au palais de justice et qu’elle n’était pas censée y retourner le lendemain. Il lui a offert de le laisser au bureau pour qu’elle passer le signer lundi, mais elle lui a dit qu’elle devait l’envoyer vendredi, le lendemain, autrement le prêt ne lui serait pas accordé. C’est alors qu’il lui a offert de passer chez elle pour le lui remettre. À son arrivée, elle était dehors à côté de l’entrée de porte; elle portait un t-shirt et un pantalon d’entraînement, et lui a fait un signe de la main. Il lui a dit de rentrer dans la maison pour ne pas  » mourir de froid « . Il a passé environ 10 minutes dans la maison avec elle pour recevoir l’affidavit. Après leur discussion, Mme G a demandé au juge Evans s’il voulait dire bonjour au membre du personnel du palais de justice qui vivait à l’étage, mais il a répondu que non, ajoutant :  » Je ne veux même pas que tu lui parles de ma visite, autrement ça va faire jaser au palais de justice.  » Il a ensuite rédigé deux lettres de références pour Mme G.

[73] Le juge Evans a reconnu avoir été mis au courant de l’intérêt de Mme G à l’égard de M. M. Il a dit qu’il en était stupéfait, car il ne savait pas que M. M avait rompu avec son épouse. Le juge Evans a témoigné que Mme G lui a dit :  » J’ai brisé son mariage.  » Mme G n’a pas été contre-interrogée sur cette affirmation.

[74] Le juge Evans a également fait un témoignage très détaillé sur la soirée au Shirley’s Bar. Il a reconnu y avoir rencontré Mme G un soir. Cependant, il était avec son ami M. Regan pendant toute la soirée, et le restaurant était rempli de procureurs de la Couronne et d’autres connaissances. Il a nié avoir touché Mme G de la façon dont elle l’a décrit.

[75] Pendant le contre-interrogatoire, le juge Evans a fait part de deux incidents qui ont froissé Mme G. Il a déclaré qu’il était sur le point de quitter une fête de Noël en 2001 lorsque Mme G s’est approchée de lui et lui a demandé de rester parce que son ancien petit ami était encore là avec sa nouvelle petite amie. Il a retiré sa main de son bras et lui a dit qu’il rentrait chez lui. Il a également témoigné qu’en novembre 2002, Mme G lui a fait part de son mécontentement parce qu’il ne lui avait pas rédigé de lettre de références; il lui a répondu qu’elle était égocentrique, qu’il ne rédigeait pas de lettres de références sur demande et qu’il n’en écrirait jamais pour elle. Mme G n’a pas été contre-interrogée au sujet de ces deux incidents.

[76] Il ne nous semble pas nécessaire de déterminer les circonstances précises qui ont fait en sorte que l’affidavit a été livré chez Mme G tard en soirée. Cet incident éclaire le contexte des rapports entre le juge Evans et Mme G, mais ne révèle rien d’autre. Nous ne sommes pas convaincus non plus qu’il y ait eu un contact physique inconvenant au Shirley’s Bar. Il y a peut-être eu un contact amical pendant la soirée, mais encore une fois, les événements de cette soirée ne révèlent rien de particulier.

[77] La question est de savoir si le juge Evans a fait ou non des propositions de nature sexuelle à Mme G de la façon dont celle-ci l’a décrit. Encore une fois, il faut s’en remettre à la crédibilité des parties.

[78] Mme G a fait un témoignage raisonnable. Elle n’a pas paru troublée pendant le contre-interrogatoire. En fait, comme nous l’avons déjà indiqué, elle n’a pas été contre-interrogée concernant la plus grande partie de son témoignage, sauf pour ce qui a trait à des incidents secondaires.

[79] Le témoignage du juge Evans ne semblait pas aussi sincère; parfois, il était même incroyable. Par exemple, il a mentionné un certain nombre d’occasions où Mme G lui aurait donné des directives et non l’inverse. Il aurait suggéré à Mme G diverses façons de lui remettre l’affidavit qui lui auraient évité de passer chez elle, mais elle les aurait toutes rejetées, de sorte qu’il a dû le lui livrer le soir même après 23 heures chez elle, à quelques minutes de distance du palais de justice, en direction opposée à son propre domicile. Le souvenir précis que le juge Evans semble avoir des circonstances qui ont entouré la livraison de l’affidavit en 1999 et la soirée au Shirley’s Bar en 2001 d’après son témoignage très détaillé semble incongru compte tenu de la banalité relative de ces événements. Sa description de son attitude et de sa conduite à l’égard de Mme G, comme dans le cas de Mme F, semble contraire à l’opinion générale selon laquelle il aurait une personnalité amicale, accessible et compatissante.

[80] En janvier 2002, le juge Evans éprouvait des problèmes de santé. Le 7 janvier, il a reçu un diagnostic de lymphome non hodgkinien. Le 10 janvier, il en a parlé au juge Palmer. Le juge Evans a travaillé uniquement au palais de justice de Barrie certains jours de janvier, car il siégeait aux tribunaux satellites de Bradford ou Parry Sound ou avait des rendez-vous chez le médecin. Le 15 janvier, il a subi une biopsie. Il a témoigné que ses problèmes de santé se répercutaient sur son état affectif. Nous ne mettons pas en doute son témoignage à ce sujet, mais il ne porte pas atteinte à la crédibilité du témoignage de Mme G.

[81] Compte tenu de l’ensemble de la preuve, nous sommes convaincus que l’appel téléphonique et le baiser dans le cabinet du juge Evans se sont produits conformément à la description de Mme G.

Mme H

[82] Au départ, Mme H a allégué avoir eu un contact sexuel avec le juge Evans à cinq reprises dans son cabinet; deux de ces incidents auraient fait intervenir une fellation. Quelque temps avant l’audience, Mme H a dit aux avocats présentant la cause qu’elle se demandait si les deux incidents de fellation n’étaient en fait qu’un seul incident. À l’audience, elle a dit qu’autant qu’elle sache, il n’y a eu qu’un seul pareil incident. Elle a fait en substance le témoignage suivant.

[83] Le témoin a commencé par décrire l’aide que le juge Evans lui a apportée à divers égards. Elle a décrit comment il l’avait aidée à dicter une lettre sur une cause dans laquelle elle avait été impliquée. Il l’a également aidée à une autre reprise, en juillet 2002, lorsque qu’elle était à court d’argent en raison de circonstances fortuites. Le juge Evans lui a alors donné un chèque de 150 $ pour l’épicerie. Elle a témoigné qu’elle n’a pas encaissé le chèque, et qu’elle a plutôt demandé une protection de découvert à la banque. Elle a dit également qu’elle avait discuté fréquemment de ses problèmes personnels avec le juge Evans. Ensuite, elle a dit que tous les contacts sexuels s’étaient produits pendant le mois d’août et peut-être pendant la première semaine de septembre 2002. Son témoignage se résume comme suit.

[84] Mme H a témoigné qu’en août 2002, alors qu’elle était dans le cabinet du juge Evans pour des raisons professionnelles, elle a mentionné qu’elle avait soif. Le juge Evans lui a dit de prendre quelque chose à boire dans le réfrigérateur situé dans le placard. Ce dernier est en fait un petit couloir qui mène à la salle de bains privée du juge Evans. Mme H s’est penchée pour prendre une boisson dans le réfrigérateur; au moment où elle se relevait, le juge Evans est entré dans le placard, l’a retenue par l’épaule, a touché son sein gauche et l’a peut-être embrassée. Mme H a dit qu’elle était stupéfaite. Le juge Evans lui a demandé si elle allait bien; elle n’a pas répondu et a quitté son bureau.

[85] À une autre occasion, Mme H se trouvait dans le cabinet du juge Evans, encore une fois pour des raisons professionnelles. À un moment donné, elle prenait place dans son fauteuil; le juge Evans a alors commencé à lui masser les épaules, puis à se diriger vers le bas. Il lui a également pris la main et l’a frottée sur le devant de son pantalon. Selon Mme H, le juge Evans a ensuite baissé sa petite culotte et lui a frotté le vagin. Il lui parlait tout au long de l’incident, lui disant combien elle aimait ça.

[86] Mme H a décrit comment, un autre jour à l’heure du déjeuner, le juge Evans s’est approché d’elle alors qu’elle quittait son cabinet et l’a entraînée par derrière vers son vestiaire et sa salle de bains privée. Elle portait une jupe; le juge Evans a baissé sa petite culotte et lui a fait un cunnilingus. Elle a témoigné qu’elle ne cessait de lui dire qu’elle serait congédiée. Après qu’elle eut un orgasme, il lui a dit :  » Je t’ai fait plaisir, maintenant c’est ton tour.  » Il s’est appuyé contre la porte de la salle de bains et elle a commencé à lui faire une fellation. Ils ont été interrompus lorsqu’une personne a frappé à la porte du cabinet.

[87] Mme H a également témoigné qu’à un moment donné, le juge Evans lui a suggéré de dire à son chef de service qu’elle était malade et de partir pour la journée afin qu’ils puissent se rencontrer à l’hôtel. Il lui a également offert de l’argent pour qu’elle s’achète des dessous qu’elle porterait pour lui.

[88] À une dernière occasion, à nouveau en août ou peut-être en septembre 2002, Mme H se trouvait dans le cabinet du juge Evans pour des raisons professionnelles au moment où ce dernier s’est placé derrière elle et a commencé à lui peloter les seins à travers ses vêtements. Un commis a frappé à la porte et est entré, et le juge Evans s’est arrêté.

[89] Mme H a témoigné qu’en plus de ces incidents précis, elle et le juge Evans s’étaient souvent embrassés pendant le mois d’août. Invitée à expliquer comment ces incidents avaient pris fin, elle a dit qu’elle a tout simplement commencé à l’éviter. Par exemple, quand il avait besoin de quelque chose, elle insistait pour laisser la porte ouverte, ou elle disait à quelqu’un qu’elle allait dans son cabinet.

[90] Mme H n’a parlé de ces incidents à personne jusqu’à la suspension du juge Evans en décembre 2002 à la suite de la plainte déposée par Mme C. Elle a appris qu’un juge aurait envoyé un courriel à ses collègues pour leur faire part de son point de vue selon lequel le processus était injuste, et que les autres juges devraient envisager de ne pas travailler avec Mme C. Mme H a dit qu’elle était renversée que les juges traitent Mme C de cette façon. Elle en a ensuite parlé au juge Evans, lui demandant,  » Et moi, dans tout ça?  » Il a répondu qu’elle devrait faire comme bon lui semble. Après la suspension du juge Evans, elle a révélé à Mme G que quelque chose s’était produit avec elle également, sans donner de détails. Mme G a donné le numéro de Mme H à la police, qui a communiqué avec elle. Elle a dit que la Police provinciale de l’Ontario et M. Hunt sont les seules personnes à qui elle a donné des détails sur ces incidents.

[91] Le juge Evans a nié avoir eu pareils incidents avec Mme H et s’être livré à des actes sexuels oraux avec elle. Il affirme ne jamais avoir été dans sa salle de bains avec elle ou avoir baissé son pantalon devant elle. D’après lui, le seul contact physique entre eux s’est produit un soir où il avait organisé un procès fictif. Elle l’a alors remercié d’avoir souligné sa participation, puis lui a donné une accolade, qu’il lui a rendue brièvement. Il a témoigné que ce n’est qu’au moment de la communication de la preuve sur ces plaintes qu’il a été mis au courant d’autres aspects de la situation personnelle de Mme H.

[92] Il a témoigné que de temps à autre, il demandait à Mme H de l’assister dans son cabinet à des fins professionnelles. Cependant, il a démenti ses allégations selon lesquelles il y aurait eu des contacts physiques ou sexuels, notamment qu’il lui aurait massé les seins, enlevé ses sous-vêtements ou suggéré d’aller à l’hôtel. Il a nié également avoir donné un chèque à Mme H. Il convient cependant qu’à une autre occasion, il lui a donné 80 $ en espèces pour la dépanner.

[93] Les allégations de Mme H sont très graves. Il se dégage globalement de son témoignage non pas que le juge Evans a eu des rapports sexuels consensuels avec elle, mais plutôt qu’il aurait commis des agressions sexuelles graves à son égard. Nous avons évalué attentivement la preuve sur ces allégations en regard de la norme de preuve stricte qu’il faut appliquer en l’occurrence. À notre avis, cette norme n’est pas atteinte.

[94] Plusieurs aspects du témoignage de Mme H mettent en doute sa crédibilité globale. Dans bien des cas, il y a une certaine incohérence entre la façon dont elle s’est souvent présentée comme victime lors de son témoignage et sa conduite, telle qu’elle l’a décrite et manifestée lors de l’audience. Des précisions sur ces questions permettraient d’identifier Mme H; nous n’abordons donc pas cet aspect de son témoignage.

[95] Il y a également des incohérences entre les incidents qu’elle a décrits et d’autres choses que le juge Evans a faites. Par exemple, elle a allégué qu’en août, le juge Evans l’a mise en contact avec un conseiller associé au palais de justice pour qu’elle discute avec lui de ses problèmes personnels. Si elle était effectivement la victime d’agressions sexuelles de la part du juge Evans, ces incidents auraient compté parmi les causes du stress qu’elle ressentait, et il serait alors renversant qu’il la dirige vers un conseiller associé au palais de justice de Barrie.

[96] Mme H éprouvait un stress extrême pendant la période en question, pour différentes raisons personnelles que nous ne pouvons décrire avec précision, encore une fois pour protéger sa vie privée. Cependant, nous remettons en cause sa capacité de se rappeler avec précision les événements d’août 2002.

[97] Mme H n’a pas semblé témoigner de façon attentive et plusieurs fois, particulièrement pendant le contre-interrogatoire, elle a donné des réponses exagérées. Par exemple, elle n’était pas d’accord lorsqu’on lui a dit, pendant le contre-interrogatoire, que les gens entraient souvent dans le cabinet du juge Evans sans frapper. Elle a déclaré que son bureau était  » essentiellement bouclé la plupart du temps  » parce qu’il avait des réunions, et que  » la porte était fermée la plupart du temps « . Or, ce témoignage va à l’encontre des déclarations de nombreux autres témoins, qui ont mentionné la politique de libre accès du juge Evans. En outre, Mme H a témoigné que lors de l’incident où elle a pris une boisson dans le réfrigérateur, le juge Evans lui a empoigné l’épaule et le sein droit. Cependant, pendant le contre-interrogatoire, on lui a rappelé qu’elle avait dit à la police que le juge Evans lui avait touché les épaules et les bras et  » probablement la poitrine « . Elle a expliqué qu’elle était trop embarrassée pour dire le mot  » sein  » à ce moment-là, mais qu’elle avait désormais plus de facilité à le faire. Elle a été contre-interrogée sur la raison pour laquelle elle a mentionné à la police les deux incidents de sexe oral alors que dans son témoignage, elle a dit que ces deux incidents se sont produits en même temps, et elle a essayé d’expliquer cette contradiction apparente en soutenant que la police l’avait mal comprise, car elle voulait dire  » un pour lui, un pour moi « . Or, dans son entrevue avec M. Hunt, elle a expliqué cette contradiction en lui disant qu’elle ne se souvenait pas exactement s’il y avait eu un seul incident de sexe oral ou deux, ou si ces incidents s’étaient produits au même moment ou à deux occasions. En outre, elle a témoigné que le juge Evans n’avait pas éjaculé pendant cette fellation mais a dit à la police qu’elle n’en était pas certaine. Elle a également fait preuve d’une hostilité évidente à l’égard du juge Evans pendant son témoignage.

[98] À maints égards, il est improbable que les incidents se soient produits aux moments que Mme H a indiqués. Elle a témoigné qu’ils auraient eu lieu en août et au début de septembre 2002. Or, d’après l’horaire du juge Evans, ce dernier n’aurait été présent au palais de justice de Barrie que les 1er, 2, 6, 7 et 8 août. Ces jours-là, il quittait toujours le palais de justice le plus tôt possible pour rejoindre son épouse et sa fille au chevet de son beau-père malade à l’hôpital. Les autres jours, s’il ne siégeait pas à l’un des tribunaux satellites de Bradford, Collingwood ou Parry Sound, il prenait ses deux semaines de vacances ou assistait aux obsèques de son beau-père. En septembre 2002, le lundi 2 était la fête du Travail, et les 3, 4 et 5, le juge Evans siégeait à Barrie.

[99] Il est également peu probable que ces incidents se soient produits pendant la journée normale de travail. Bon nombre des autres juges passaient régulièrement dans le cabinet du juge Evans pour se servir du réfrigérateur ou du four à micro-ondes. Par exemple, le juge Palmer y apportait son repas du midi trois jours par semaine. En plus des juges, le personnel du palais de justice entrait et sortait constamment du cabinet du juge Evans. La plupart des commis frappaient avant d’entrer, mais souvent, les juges entraient sans frapper. Le juge Evans ne verrouillait jamais la porte.

[100] Il y a un certain nombre de contradictions entre le témoignage de Mme H et ses déclarations antérieures, la plus importante ayant trait au nombre d’incidents de sexe oral. Cette contradiction porte sérieusement atteinte à l’exactitude de son témoignage.

[101] On a fait grand cas pendant l’audience du fait que Mme H n’avait rien remarqué d’inhabituel au sujet des organes génitaux du juge Evans pendant la fellation. Le juge Evans a témoigné qu’il se rase dans la région de l’aine, et qu’au moment de la fellation alléguée, il avait une éruption cutanée sur la jambe que Mme H aurait dû remarquer. Dans le contexte du témoignage de Mme H, nous jugeons que cette preuve n’est pas particulièrement utile et qu’il n’y a donc pas lieu de formuler d’autres commentaires à son sujet.

[102] Tout compte fait, nous ne sommes pas convaincus qu’il y a eu inconduite sexuelle à l’égard de Mme H. Nous rejetons donc sa plainte.

Conclusion

[103] Nous concluons qu’il y a eu inconduite tel que décrit dans les présents motifs. Nous communiquerons avec les avocats pour établir la date à laquelle se poursuivra l’audience en vue de déterminer la sanction appropriée.

FAIT à Toronto (Ontario), le 23 septembre 2004.

La juge Louise Charron

Le juge J. David Wake

Jocelyne Côté-O’Hara

Henry G. Wetelainen

ANNEXE A

DÉTAILS DE LA PLAINTE

Les détails de la plainte concernant la conduite du juge Kerry P. Evans sont énoncés ci-après :

Mme G

1. Mme G travaillait avec le juge Evans au palais de justice de Barrie. Un soir d’été 1999, le juge Evans l’a appelée à son appartement vers 23 heures 30. Il a insisté pour passer la voir à son retour chez lui pour lui remettre une lettre de références qu’elle avait demandée. Mme G trouvait bizarre qu’il veuille ainsi passer chez elle, mais elle lui a donné son adresse. Le juge Evans est arrivé et est resté pendant environ 15 minutes. Il tenait beaucoup à ce que le propriétaire de Mme G, qui travaillait également au palais de justice de Barrie, ne soit pas réveillé et ou mis au courant de sa visite.

2. En novembre 2001, après avoir découvert que Mme G était attirée par un avocat particulier, le juge Evans l’a appelée chez elle et lui a demandé de le mettre au défi d’en parler à cet avocat. Il lui a ensuite demandé ce qu’il mériterait en retour s’il osait le faire. Il lui a alors demandé,  » Coucheriez-vous avec moi?  » Mme G a tenté de prendre le tout pour une blague. Le juge Evans a alors avoué qu’il avait des problèmes conjugaux, et lui a demandé si elle envisagerait d’avoir une aventure avec lui; il a dit en substance :  » Coucheriez-vous avec un gros gars qui a une grosse queue?  » Mme G lui a dit qu’elle ne pouvait pas coucher avec lui, et la conversation a pris fin.

3. En décembre 2001, Mme G était dans un bar de Barrie avec un groupe d’amis. Le juge Evans était là lui aussi, et après l’avoir remarquée avec ses amis, il s’est approchée d’elle. Elle prenait place sur un tabouret, et il lui a mis les mains sur les cuisses, s’est penché et l’a embrassée sur les lèvres.

4. En janvier 2002, Mme G, qui avait envoyé une carte de Noël au juge Evans, lui a demandé à son retour au travail après le congé des fêtes s’il l’avait reçue. Il a dit non et l’a entraînée dans son cabinet, où il l’a embrassée. Mme G a dit  » Non « , puis il l’a embrassée sur les lèvres et lui a mis la langue dans la bouche. Mme G s’est dégagée, mais il s’est placée entre elle et la porte alors qu’elle tentait de sortir. Il l’a embrassée à nouveau et lui a dit :  » Dis « Kerry, j’aime t’embrasser » « . Mme G a hésité, a dit  » Kerry…  » puis a ajouté :  » Je n’ai vraiment pas l’habitude de dire ce genre de choses « , et  » il faut que je m’en aille  » avant de quitter son cabinet. Plus tard ce jour-là, alors qu’il quittait le parc de stationnement du palais de justice, il lui a fait un signe de la main pour lui demander de s’approcher et lui a dit,  » Merci, ma petite.  »

Mme D

5. Mme D travaillait avec le juge Evans au palais de justice de Barrie. Le 19 juin 2000, elle avait assisté à une rencontre avant un procès et avait été bouleversée par la preuve qu’elle avait entendue; elle a dû quitter la salle d’audience. Alors qu’elle était dans le couloir essayant de reprendre ses esprits, le juge Evans l’a remarquée et l’a emmenée dans son cabinet pour lui donner un mouchoir. Il a commencé à tirer sur sa toge pour la lui enlever. Elle a résisté, lui disant  » Non « . Il a continué, et elle lui a dit qu’elle était attachée dans le dos et qu’il ne pourrait l’enlever. À ce moment-là, le superviseur de Mme D est entré, et le juge Evans s’est arrêté.

6. Vers février ou mars 2001, Mme D et le juge Evans travaillaient au palais de justice de Collingwood. Juste avant l’ouverture, Mme D est montée chercher le juge Evans dans son cabinet. Elle est restée dans le couloir en attendant qu’il mette fin à sa conversation téléphonique, le dos contre le mur, puis a baissé brièvement les yeux. Elle l’a entendu raccrocher et se rapprocher d’elle. Il lui a pris les mains, y a glissé les doigts et l’a poussée contre le mur, qui était environ un pied derrière elle. Il a mis sa poitrine contre la sienne et l’a acculée au mur. Elle se souvient qu’il lui a dit quelque chose, mais ne se rappelle pas quoi, ni comment elle s’est échappée exactement. Le juge Evans s’est éloigné d’elle puis s’est dirigé vers la salle d’audience.

7. En août 2001, deux employés de la cour et Mme D, avec le juge Evans, ont emprunté un véhicule du gouvernement pour aller au palais de justice de Collingwood. Le groupe s’est arrêté pour acheter du café. À leur retour à la voiture, Mme D était debout à côté de la portière et du juge Evans, en attendant que le chauffeur déverrouille les portières. Alors qu’elle montait dans la voiture, le juge Evans lui a empoigné la fesse gauche.

8. Pendant les mois de février, d’avril, de juin et de septembre 2002, Mme D a travaillé avec le juge Evans. Chaque fois qu’elle ouvrait les portes pour aller à la salle d’audience, elle sentait le bras, la poitrine ou le ventre du juge Evans contre elle, ce qui la mettait mal à l’aise. À au moins deux reprises, il lui a demandé si elle voulait un bonbon. Elle a refusé, et il a tiré profit du fait qu’elle avait les bras chargés de dossiers pour lui mettre le bonbon dans la bouche. Mme D a reculé, a repoussé sa main et a refusé le bonbon.

Mme E

9. Mme E travaillait avec le juge Evans au palais de justice de Barrie. Elle était debout avec un groupe d’amis lors de la fête de Noël de la Criminal Lawyers’ Association en décembre 2000. Cet événement avait lieu aux bureaux d’un groupe d’avocats de Barrie. Mme E bavardait avec ses amis et se trouvait dos au coin du mur; le juge Evans était debout à côté d’elle. Il a allongé le bras et lui a touché les fesses. Étonnée, elle a quand même continué de parler à ses amis. Elle pense qu’elle s’est alors éloignée du juge Evans.

Mme F

10. Mme F travaillait avec le juge Evans au palais de justice de Barrie. En février 2001, le juge Evans a téléphoné à Mme F chez elle vers 19 heures et lui a demandé de le rejoindre au palais de justice pour faire des photocopies. Le juge Evans était dans son cabinet, et elle y est entrée. Ils ont pris place sur le divan et il lui a posé des questions sur ce que serait un petit ami, un homme idéal pour elle, ce qui la rendrait heureuse. Elle a demandé où étaient les documents à photocopier, et voyant qu’il n’y avait pas de travail à faire, a dit qu’elle partait. Lorsqu’elle s’est levée, le juge Evans l’a empoignée et a commencé à danser avec elle. Elle a essayé de partir, et lorsqu’elle a mis la main sur la poignée de porte, il s’est penché et l’a embrassée. Elle pense qu’il l’a peut-être embrassée une seconde fois, lui disant :  » Vas-y, embrasse-moi, embrasse-moi.  » Elle a dit qu’elle devait partir et est sortie. Quelques jours plus tard, le juge Evans l’a appelée chez elle et s’est excusé, mais a ajouté que de toute façon, elle n’avait pas résisté.

Mme H

11. Mme H travaillait avec le juge Evans au palais de justice de Barrie. Vers août 2002, le juge Evans a demandé à Mme H d’aller dans son cabinet, et lui a alors dit de prendre quelque chose à boire dans le réfrigérateur situé dans le placard. Elle s’est penchée pour prendre une boisson dans le réfrigérateur; alors qu’elle se relevait, le juge Evans était devant elle et l’a empoignée. Il a commencé à lui caresser les épaules, la poitrine et les bras et à lui frotter les seins, disant :  » Je sais que tu aimes ça.  » Mme H croit qu’il l’a embrassée. Elle lui a dit qu’elle devait retourner à son poste.

12. À une autre occasion vers août 2002, le juge Evans a demandé à Mme H de passer à son cabinet. Elle s’est assise, puis le juge Evans a commencé à lui masser les épaules et à lui toucher les seins. Elle se souvient qu’il parlait continuellement pendant l’incident, lui demandant  » Aimes-tu ça?  » à plusieurs reprises. Il a ensuite baissé la petite culotte de Mme H et lui a touché le vagin. Le juge Evans répétait tout au long de l’incident que Mme H aimait ça. Il lui a également offert de l’argent pour s’acheter des dessous qu’elle porterait pour lui.

13. À une autre occasion, vers août 2002, le juge Evans a demandé à Mme H de venir dans son cabinet. Alors qu’elle se levait pour partir, il s’est approché d’elle et l’a fait reculer vers son vestiaire et sa salle de bains privée. Elle portait une jupe; le juge Evans a baissé sa petite culotte et lui a fait un cunnilingus. Il lui a suggéré de dire à son chef de service qu’elle était malade et de partir pour la journée afin qu’ils puissent se rencontrer à l’hôtel. Elle a refusé.

14. À une autre occasion vers août 2002, Mme H était dans le cabinet du juge Evans au palais de justice de Barrie, et à un moment donné, le juge l’a entraînée dans sa salle de bains. Il lui a pris les mains, les a frottées sur le devant de son pantalon et les a glissées dans son pantalon. Il l’a poussée vers le plancher et lui a dit de lui faire une fellation, ce qu’elle a fait.

15. À une autre occasion, vers août ou septembre 2002, Mme H était dans le cabinet du juge Evans lorsque ce dernier s’est placé derrière elle et a commencé à lui peloter les seins à travers ses vêtements. Un commis a frappé à la porte et est entré, et le juge Evans s’est arrêté.

Mme C

16. Vers décembre 2002, le juge Evans et Mme C bavardaient dans le cabinet du juge pendant une suspension d’audience. Alors qu’ils discutaient des cadeaux de Noël à offrir à l’épouse du juge Evans, Mme C a suggéré une balade en hélicoptère, précisant que le cousin de son mari, un pilote, pourrait l’emmener. Le juge Evans a demandé si le cousin en question était jeune et beau. Mme C a répondu que c’était le cas, et le juge Evans a alors placé sa main ouverte sur la fourche de Mme C, par-dessus sa toge, et a dit en substance :  » Eh bien, je vais devoir lui pointer un fusil juste là, alors.  » Mme C a protesté, et le juge Evans lui a tapoté les fesses en disant,  » OK, allons-y « , puis ils sont retournés à la salle d’audience.

Mme A

17. À plusieurs reprises tout au long de 2000 et au début de 2001, le juge Evans s’est rapproché de Mme A et, de temps à autre, l’a touchée. Ces actes la mettaient mal à l’aise, et deux fois, elle a demandé au juge Evans de reculer.

18. À une autre occasion, en 2000, le juge Evans a téléphoné à Mme A chez elle vers 23 heures. Il n’avait aucune raison valable de l’appeler, et ils ont parlé de choses et d’autres. Le juge Evans a demandé à Mme A s’il l’avait réveillée. Elle lui a répondu que c’était le cas. Le juge Evans a rétorqué en substance :  » Eh bien, maintenant que vous êtes réveillée, vous allez pouvoir faire l’amour avec votre partenaire.  » Mme A n’a rien dit.

19. À une autre occasion, en 2000, Mme A se trouvait seule avec le juge Evans dans son cabinet à Collingwood. Elle a parlé d’un homme qui lui causait des problèmes. Le juge Evans s’est levé de son bureau et s’est placé debout devant Mme A. Il a dit qu’elle aurait dû s’en prendre à cet homme, et a mis la main entre ses jambes et l’a touchée. Mme A a eu l’impression que le juge Evans voulait montrer comment attraper quelqu’un par le pénis.

20. À une autre occasion, le juge Evans a appelé Mme A dans son cabinet et lui a demandé si elle avait dit à quelqu’un qu’on l’avait harcelée sexuellement. Elle lui a répondu qu’elle l’avait fait effectivement. Le juge Evans a affirmé qu’il pourrait y avoir une enquête. Il a demandé à Mme A ce qu’elle dirait si on l’interrogeait au sujet de cette allégation. Elle a déclaré qu’elle  » dirait la vérité « . Le juge Evans a alors dit :  » Je préférerais que vous disiez que cette allégation n’est pas fondée « . Il a poursuivi en disant qu’il se souvenait que d’une seule occasion où Mme A lui avait demandé de ne pas se placer trop près d’elle. Mme A a répliqué qu’elle le lui avait dit deux fois.

Mme B

21. Le 5 septembre 2000, Mme B a assisté à la cérémonie d’assermentation du chef de police de Barrie. Elle connaissait le juge Evans sur le plan professionnel depuis de nombreuses années. Pendant que les invités discutaient après la cérémonie, le juge Evans et Mme B se sont salués. Le juge Evans a levé la main; Mme B croyait qu’il allait lui serrer la main, mais il l’a plutôt touchée dans la région pubienne.