Juge Lesley M. Baldwin

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Le Conseil de la magistrature de l’Ontario (le  » Conseil « ), en vertu des articles 51.4(18) et 51.6 de la Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.O. de 1990, chap. 43, avec ses modifications, a tenu une audience le 3 avril 2002 relativement à Mme la juge Lesley M. Baldwin.

En plus des éléments de preuve et des observations orales des avocats à cette date, des observations écrites ont été déposées par l’avocat chargé de présenter la cause, M. Hunt, ainsi que l’avocat de Mme la juge Baldwin, M. Levy.

Les faits

Un exposé conjoint des faits a été déposé à l’audience.

Ces faits ont été résumés comme suit :

En novembre 1998, le procureur général, au nom du gouvernement de l’Ontario, a annoncé l’établissement d’un Comité mixte de la violence familiale ( » le Comité « ). Le Comité a été créé à la suite des recommandations proposées dans le cadre de l’enquête de coroner sur le meurtre d’Arlene May, victime de violence familiale, et du suicide de Randy Iles, auteur de cet acte de violence.

Le procureur général, M. Charles Harnick, a établi le mandat suivant du Comité :

Le Comité mixte sur l’enquête portant sur la mort d’Arlene May et Randy Iles est créé conformément au mandat suivant :

1) Examiner les recommandations du jury et conseiller le procureur général sur leur mise en oeuvre, ce qui comprend :

a) fournir des conseils au procureur général sur l’établissement des priorités relatives à la création de services et programmes portant sur la violence familiale;

b) fournir des conseils au procureur général sur l’ampleur des programmes actuels et prévus, conformément aux recommandations du jury;

c) fournir des conseils au procureur général sur la mesure dans laquelle les programmes actuels et prévus servent à fournir un programme continu sur la lutte contre la violence familiale en Ontario;

d) fournir des conseils au procureur général sur les mécanismes nécessaires pour fournir les programmes et services continus en réponse aux recommandations du jury;

2) consulter les experts, les victimes, les membres des groupes culturels et régionaux et d’autres intervenants et fournisseurs de services, selon le besoin, pour accomplir le mandat.

À l’automne 1998, le procureur général Harnick a contacté le juge en chef à l’époque, M. Sidney Linden, et a spécialement demandé que le juge en chef Linden autorise Mme la juge Baldwin à siéger comme présidente du Comité. Après avoir parlé à Mme la juge Baldwin, le juge en chef Linden l’a autorisé à prendre un congé temporaire comme juge siégeant pour présider le Comité. Mme la juge Baldwin a accepté cette affectation.

L’ancien juge en chef Sidney Linden, l’ancienne juge en chef adjointe et coordonnatrice des juges de paix, Marietta Roberts, et l’ancien juge principal régional Anton Zuraw ont rencontré Mme la juge Baldwin pour discuter de la demande formulée afin qu’elle siège comme présidente du Comité. Ils ont averti la juge Baldwin comme ils auraient averti n’importe quel juge dans sa position qu’elle devrait être prudente dans ses propos en tant que membre et présidente du Comité étant donné son rôle de juge.

Mme la juge Baldwin a obtenu une absence temporaire autorisée comme juge siégeant à la Cour de justice de l’Ontario pour une période de six mois, à compter de janvier 1999. Cette période a été prorogée à neuf mois pour qu’elle puisse siéger comme présidente du Comité. L’absence autorisée de Mme la juge Baldwin a commencé le 8 janvier 1999 et a pris fin vers la mi-août 1999. Au cours de cette période, le ministère du Procureur général a fourni un financement spécial à la Cour de justice de l’Ontario pour payer la rémunération quotidienne d’un juge siégeant en remplacement de Mme la juge Baldwin.

Outre Mme la juge Baldwin, le Comité était composé d’experts communautaires dans le domaine de la prévention de la violence familiale ainsi que de hauts fonctionnaires. Les experts communautaires qui ont siégé au Comité étaient Marilyn Struthers, Vivien Green, docteur Peter Jaffe et Roz Roach. Les fonctionnaires publics membres du comité mixte étaient les sous-ministres adjoints du ministère du Procureur général, du ministère du Solliciteur général, du ministère des Services correctionnels, du ministère des Services sociaux et communautaires et de la Direction générale de la condition féminine de l’Ontario.

En accomplissant son mandat, le Comité a travaillé avec le personnel des divers ministères du gouvernement, a été tenu au courant d’une vaste gamme d’initiatives portant sur la lutte contre la violence familiale qui sont actuellement en place et a fourni des conseils sur des initiatives en cours d’élaboration ou de mise en oeuvre. Le Comité a tenu des consultations avec un certain nombre d’intervenants et a invité divers experts communautaires à des réunions pour être au courant de leurs connaissances et points de vue concernant les recommandations particulières du jury.

Le rapport final du Comité (le  » rapport « ) a été signé et officiellement présenté au procureur général, M. James Flaherty, au nom du gouvernement de l’Ontario, le 12 août 1999.

Le rapport a été signé par les membres du Comité, y compris Mme la juge Baldwin. Mme la juge Baldwin a personnellement signé le rapport au-dessus du titre  » Mme la juge Lesley Baldwin (présidente) « .

Le rapport a déterminé les stratégies de mise en oeuvre des 213 recommandations du jury de l’enquête May/Iles, organisées selon quatre catégories :

1) services essentiels communs; .

2) intervention d’un système de justice efficace;

3) réalisation de la continuité;

4) financement et priorités en matière de planification.

À la suite de la présentation du rapport, Mme la juge Baldwin a repris ses fonctions comme juge siégeant et le ministère du Procureur général a cessé de fournir des fonds spéciaux à la Cour de justice de l’Ontario pour rémunérer le juge qui remplaçait Mme la juge Baldwin.

Vers le mois de septembre 1999 ou au cours de ce mois, Mme la juge Baldwin a obtenu l’autorisation du procureur général pour faire référence au rapport lors d’une conférence internationale sur la violence familiale. La sous-ministre adjointe, Division des services de justice à la famille, Mme Angela Longo, a accordé cette autorisation à Mme la juge Baldwin, au nom du procureur général.

Vers le mois de mai 2000 ou au cours de ce mois, Mme la juge Baldwin a contacté la directrice intérimaire du groupe de travail sur la violence familiale, au ministère du Procureur général, Mme Linda Spears, en vue d’obtenir une version électronique du rapport. Mme la juge Baldwin a indiqué avoir compris que le financement allait être obtenu de la Fondation Trillium pour imprimer le rapport selon un format facile à lire.

Dans une lettre datée du 5 juillet 2000, quatre anciens membres du Comité, Roz Roach, Marilyn Struthers, Vivien Green et docteur Peter Jaffe, ont écrit à Mme la juge Baldwin comme « … membres communautaires du Comité mixte de la violence familiale pour demander une action immédiate.  » (lettre du 5 juillet « ).

Dans leur lettre du 5 juillet, les anciens membres ont formulé la demande suivante :

[TRADUCTION]

 » Nous demandons respectueusement que vous communiquiez, en votre qualité de présidente du comité, avec le ministère du Procureur général pour demander que soient prises immédiatement les deux mesures suivantes :

I. La première initiative porte sur la réimpression et la nouvelle publication de 2 000 exemplaires du rapport du Comité mixte. (Nous sommes disposés à entreprendre la réimpression avec un imprimeur à London, qui a indiqué le coût de ce travail.) Cette mesure comprendrait :

  • Une nouvelle présentation du rapport plus conviviale et plus facile à lire et une nouvelle couverture.
  • La réimpression de 2 000 exemplaires du rapport selon le nouveau format.
  • La distribution du rapport à tous les organismes de la province qui sont visés par le plan de mise en oeuvre.

II. La deuxième initiative porte sur la possibilité que le procureur général devienne un associé avec un certain nombre de fondations de bienfaisance et de sociétés du secteur privé pour tenir un sommet sur la violence contre les femmes en octobre-novembre 2000. Étant donné la vaste recherche et la documentation qui a été envisagée au cours des dernières années et les problèmes continus de danger, de violence et de meurtre que connaissent toujours les femmes victimes et leurs enfants, l’objet du sommet est de continuer à mettre en évidence le problème de la violence et de promouvoir les mesures à prendre et la mise en oeuvre des changements nécessaires. À ce moment-ci, nous cherchons à réunir deux représentants (l’un du système de justice criminelle et l’autre d’un service communautaire) de chacun des 54 aires de recrutement judiciaires. Le calendrier du sommet serait de discuter des progrès et questions reliés à la violence contre les femmes dans chaque collectivité pour maintenir l’attention du public sur le problème d’une importance critique.

Nous sommes très intéressés de créer une occasion pour mettre en place une analyse et une planification coopératives dans le cadre d’une réunion provinciale comme le sommet et nous sommes déjà au courant d’une fondation au moins qui est très intéressée à participer.  »

Mme la juge Baldwin a envoyé la lettre du 5 juillet au procureur général de l’Ontario, M. James M. Flaherty, en y joignant une lettre datée du 7 juillet 2000 et rédigée sur du papier à en-tête de la magistrature. Mme la juge Baldwin a envoyé une copie de la lettre à Trinela Cane, Murray Segal, docteur Peter G. Jaffe, Vivien Green, Marilyn Struthers et Roz Roach. La lettre se lit comme suit :

[TRADUCTION]

Objet : Travail du Comité mixte de la violence familiale

Veuillez trouver ci-joint une lettre que j’ai reçue des membres communautaires du Comité mixte de la violence familiale.

J’appuie leurs demandes et j’ajoute incidemment que je n’ai remarqué aucun changement perceptible dans la manière dont les avocats abordent ces causes difficiles dans les cours criminelles où je siège.

Je suis disposée à vous rencontrer de nouveau pour discuter du plan quinquennal que notre comité a préparé si cela pourrait se révéler utile.

Dans une lettre portant le timbre dateur du 24 juillet 2002, M. James Flaherty a répondu à la lettre du 7 juillet de Mme la juge Baldwin. Voici un extrait de sa réponse :

[TRADUCTION]

 » . . . Je vous remercie d’avoir soulevé ces questions avec moi. La personne chargée de la planification de l’horaire dans mon bureau, Agnes Vanya, vous contactera directement pour fixer un rendez-vous. Je serais heureux de discuter des propositions avancées au nom des membres communautaires du Comité mixte.  »

Le 31 juillet 2000, ou vers cette date, Mme la juge Baldwin et trois membres de l’ancien comité, Trinela Cane (SMA, Planification et politiques, Solliciteur général et Services correctionnels, et directrice de projet, Stratégie des victimes), docteur Peter Jaffe et Vivien Green, ont rencontré le procureur général, M. Flaherty, et Joanna Kuras, directrice de projet, Division des services aux victimes, ministère du Procureur général. Le but de la réunion était de mettre de nouveau le procureur général au courant du travail du Comité.

La plainte

La plainte est que Mme la juge Baldwin a agi de manière incompatible avec les fonctions de sa charge et qu’elle a, en raison d’une telle inconduite, jeté le discrédit sur l’administration de la justice.

Plus précisément, l’inconduite est décrite par l’avocat chargé de présenter le dossier, M. Hunt, comme un contact continu avec le groupe de la direction sur des questions de politique gouvernementale touchant le domaine de l’administration de la justice criminelle au-delà du cadre pour lequel l’autorisation avait été accordée à Mme la juge Baldwin pour aider la direction. Par conséquent, elle s’est mise du même côté des initiatives ou stratégies qui ont été présentées par un groupe particulier. Une telle conduite a soulevé des questions relativement à sa capacité de demeurer impartiale et indépendante sur des questions dont elle pourrait être saisie.

Inconduite

L’  » inconduite judiciaire  » n’est pas définie dans la Loi sur les tribunaux judiciaires.

L’avocat chargé de présenter le dossier, M. Hunt, a soutenu, de manière exacte à notre avis, qu’une décision d’inconduite judiciaire doit être rendue par voie d’analyse juridique.

Une source pour une telle analyse serait les Principes de la charge judiciaire, un document préparé sous les auspices du juge en chef de la Cour de justice de l’Ontario.

Ce document n’est pas un ensemble de règles. Il est plutôt un guide pour aider les juges à faire face aux dilemmes déontologiques et professionnels et pour aider le public à comprendre les attentes raisonnables qu’il peut avoir des juges dans l’exercice de leurs fonctions judiciaires et la conduite de leur vie professionnelle.

À la page 4, sous la rubrique « Le juge dans la collectivité », on peut lire ce qui suit au paragraphe 3.2 :

Les juges doivent éviter tout conflit d’intérêt ou l’apparence de tout conflit d’intérêt dans l’exercice de leurs fonctions judiciaires.

Le commentaire indique ce qui suit :

Les juges ne doivent participer à aucune activité politique partisane.

Les deux avocats ont aussi fait référence aux Principes de déontologie judiciaire publiés par le Conseil canadien de la magistrature.

Cette publication énonce aussi un ensemble de  » principes  » qui examinent les questions déontologiques auxquelles font face les juges dans leur vie et leur travail au sein de leurs collectivités.

Sous le titre Impartialité on peut lire ce qui suit :

Les juges doivent être impartiaux et se montrer impartiaux dans leurs décisions et tout au long du processus décisionnel.

Le troisième principe à formulation générale se lit comme suit :

L’apparence d’impartialité doit être évaluée en fonction de la perception d’une personne raisonnable, impartiale et bien informée.

Sous la rubrique Indépendance de la magistrature on peut lire dans l’énonce ce qui suit :

L’indépendance de la magistrature est indispensable à l’exercice d’une justice impartiale sous un régime de droit. Les juges doivent donc faire respecter l’indépendance judiciaire, et la manifester tant dans ses éléments individuels qu’institutionnels.

Le commentaire numéro 5 sous cette rubrique se lit comme suit :

Compte tenu de l’indépendance dont ils jouissent, les juges ont la responsabilité collective de promouvoir des normes élevées de conduite. La primauté du droit et l’indépendance de la magistrature reposent avant tout sur la confiance du public. Les écarts de conduite et les comportements douteux de juges ont tendance à miner cette confiance. Ainsi que le professeur Nolan le souligne, l’indépendance judiciaire et la déontologie judiciaire vivent en symbiose 5 . L’acceptation des décisions des tribunaux par le public et l’appui qu’il donne à celles-ci reposent sur sa confiance en l’intégrité et en l’indépendance de la magistrature. Cette confiance dépend elle-même de la mesure dans laquelle la magistrature observe des normes de conduite élevées.

Le commentaire numéro 8 se lit comme suit :

Les juges sont souvent invités à siéger à des commissions d’enquête. Avant d’accepter une telle nomination, les juges doivent étudier soigneusement les répercussions qu’elle peut avoir sur l’indépendance judiciaire. Il est arrivé que des juges membres de commissions se soient trouvés mêlés à des controverses publiques et aient été critiqués et mis dans l’embarras par les gouvernements mêmes qui les avaient nommés. Les juges doivent soigneusement examiner leur mandat, ainsi que les facteurs en cause, tels que le temps et les ressources dont ils disposent, afin de s’assurer que tous ces éléments sont compatibles avec la fonction judiciaire.

Conformément à ces principes et commentaires, M. Hunt soutient que le test d’inconduite doit être un test similaire à celui que les tribunaux ont élaboré pour chercher à protéger l’indépendance de la magistrature car l’indépendance et l’impartialité de la magistrature sont les deux pierres d’angle qui sous-tendent les déclarations faites par les tribunaux et par les organismes réglementaires judiciaires où est examinée la question de conduite ou d’inconduite.

Le paragraphe 51.6(11) de la Loi sur les tribunaux judiciaires autorise le Conseil à choisir parmi une vaste gamme de mesures s’il trouve qu’un juge a été coupable d’inconduite.

Le Conseil peut :

a) donner un avertissement au juge;

b) réprimander le juge;

c) ordonner au juge de présenter des excuses au plaignant ou à toute autre personne;

d) ordonner que le juge prenne des dispositions précises, telles suivre une formation ou un traitement, comme condition pour continuer de siéger à titre de juge;

e) suspendre le juge, avec rémunération, pendant une période quelle qu’elle soit;

f) suspendre le juge, sans rémunération mais avec avantages sociaux, pendant une période maximale de trente jours;

g) recommander au procureur général la destitution du juge conformément à l’article 51.8.

La question est de déterminer ce qui est nécessaire pour constituer une inconduite au sens de cet article.

Dans deux causes récentes, Therrien c. ministre de la Justice et autres (2001), 155 C.C.C. (3d) 1, et Moreau – Berube c. Nouveau-Brunswick (Conseil de la magistrature), 2002 C.S.C. 11, la Cour suprême du Canada a examiné les exigences relatives à une inconduite de la magistrature quoique dans le contexte des lois dans d’autres provinces qui n’ont pas la gamme entière des autres mesures prévues à l’article 51.6(11). Néanmoins, à notre avis, le test prévu par la Cour suprême est applicable aux conclusions d’inconduite en vertu des lois de l’Ontario.

Dans l’affaire Moreau – Berube c. New Brunswick (Conseil de la magistrature), la Cour suprême a examiné la tension entre l’obligation de rendre compte de la magistrature et l’indépendance des juges. Ceux-ci doivent être responsables de leur conduite judiciaire et extra-judiciaire pour que le public ait confiance dans leur capacité d’accomplir les fonctions de leur charge de manière impartiale, indépendante et avec intégrité. Lorsque la confiance du public est minée par la conduite d’un juge, il doit y avoir un processus pour remédier au préjudice qui a été occasionné par cette conduite. Toutefois, il est important de reconnaître que la manière selon laquelle les plaintes relatives à l’inconduite d’un juge sont examinées peut avoir un effet freinant ou paralysant sur l’action judiciaire. Par conséquent, le processus suivi pour examiner les allégations d’inconduite d’un juge doit prévoir une obligation de rendre compte sans réduire de manière inadéquate l’indépendance ou l’intégrité de la pensée ou du processus décisionnel des juges.

L’objet de l’instance sur une inconduite de la magistrature est essentiellement correctif. Les dispositions prévues à l’article 51.6(11) doivent être invoquées au besoin pour rétablir la confiance du public à la suite de la conduite du juge.

Paraphrasant le test prévu par la Cour suprême dans Therrien et Moreau-Berube, la question examinée en vertu de l’article 51.6(11) est de déterminer si la conduite qui est reprochée est si gravement contraire à l’impartialité, l’intégrité et l’indépendance de la magistrature qu’elle a miné la confiance du public dans la capacité du juge d’accomplir les fonctions de sa charge ou l’administration de la justice de manière générale et qu’il est nécessaire au Conseil de la magistrature de prendre l’une des mesures prévues à l’article pour rétablir cette confiance.

Ce n’est que lorsque la conduite qui est l’objet de la plainte dépasse ce seuil qu’il faut envisager l’application des mesures prévues à l’article 51.6(11). Une fois que le Conseil a déterminé qu’il faut appliquer l’une des mesures prévues à l’article 51.6(11), il doit examiner d’abord la mesure la moins grave – un avertissement – et passer ensuite dans un ordre séquentiel à la mesure la plus grave – une recommandation de destitution – et ordonner uniquement ce qui est nécessaire pour rétablir la confiance du public dans le juge et l’administration de la justice de manière générale.

Y a-t-il eu inconduite dans le cas en l’espèce?

La plainte porte spécifiquement sur la lettre du 7 juillet de Mme la juge Baldwin, rédigée sur du papier à en-tête de la magistrature, et envoyée au procureur général.

Par conséquent, la question est de déterminer si le fait  » d’envoyer  » la lettre et son contenu est si gravement contraire à l’impartialité, l’intégrité et l’indépendance de la magistrature qu’il minerait la confiance du public dans la capacité du juge à accomplir les fonctions de sa charge ou qu’il minerait la confiance du public dans l’administration de la justice de manière générale et nécessiterait l’application de l’une des mesures prévues à l’article 51.6(11) de la Loi.

Du point de vue de la confiance du public, ces faits sont pertinents :

  • Le juge en chef a autorisé Mme la juge Baldwin à assumer les fonctions de présidente du Comité.
  • Rien dans le rapport présenté par le Comité n’indique que des peines spécifiques devraient être imposées dans les causes de violence familiale.
  • Rien dans le rapport n’indique que la présomption d’innocence ou le principe du doute raisonnable devraient être différents des causes alléguant la violence familiale.
  • Rien dans le rapport ne suggère des changements aux règles de la preuve pour faciliter à la Couronne la tâche d’obtenir une condamnation.
  • La lettre du 7 juillet n’ajoute aucun élément ni ne défend rien de différent du contenu du rapport relativement à l’administration de la justice. La remarque faite par Mme la juge Baldwin  » … je n’ai remarqué aucun changement perceptible dans la manière dont les avocats abordent ces causes difficiles dans les cours criminelles où je siège  » ne fait aucun renvoi à un point particulier ni en ce qui concerne le contenu du rapport ni l’administration de la justice de manière générale.
  • Mme la juge Baldwin, représentée par son avocat, a exprimé son regret que la lettre du 7 juillet a été interprétée par quiconque comme une indication qu’il y aurait partialité de sa part dans les causes de violence familiale. Elle a déclaré au Conseil que telle n’était pas son intention.

En outre, nous notons que l’intention de Mme la juge Baldwin n’était pas que la lettre reçoive l’attention du public. La lettre n’a pas été rédigée dans le but de faire exercer une pression du public sur le gouvernement. Mme la juge Baldwin n’a fait aucun effort pour embarrasser politiquement le gouvernement de ne pas avoir fait suite au rapport du Comité. Le fait que la lettre soit parvenue dans le domaine public n’était pas le résultat de mesures prises par Mme la juge Baldwin. À notre avis, la rédaction de la lettre était davantage la réaffirmation par Mme la juge Baldwin des points de vue qu’elle avait exprimées plus tôt dans le rapport du Comité.

Ayant examiné les détails spécifiques de la plainte du point de vue d’un  » membre du public raisonnable, objectif et informé « , dans le contexte des Principes de la charge judiciaire et du test mentionné ci-dessus, le Conseil conclut qu’il n’y a pas eu d’inconduite.

Notons que le fait d’envoyer la lettre des membres du Comité sur le papier à en-tête de son cabinet de juge n’a peut-être pas été le moyen le plus approprié pour le Comité de faire le suivi avec le procureur général. Par conséquent, le Conseil croit que la plainte n’était pas totalement sans fondement mais, à son avis, ni l’utilisation du papier à en-tête de la magistrature pour joindre les demandes des membres du Comité ni les commentaires entre parenthèses faits par Mme la juge Baldwin ne constituent une violation grave à l’impartialité, l’intégrité et l’indépendance de la magistrature qui justifieraient la conclusion d’une inconduite.

Par conséquent, la plainte est rejetée.

Compte tenu de l’article 51.7(5) de la Loi sur les tribunaux judiciaires, nous recommandons au procureur général d’indemniser Mme la juge Baldwin pour les frais qu’elle a engagés pour ses services juridiques.

Nous souhaitons recevoir des observations écrites des avocats sur la question du montant de l’indemnisation en vertu de l’article 51.7(7) de la Loi. Les avocats de Mme la juge Baldwin présenteront des observations écrites dans les sept (7) jours suivant l’annonce de cette décision et la réponse des avocats chargés de présenter le dossier, le cas échéant, auront un délai de sept (7) jours par la suite.

FAIT à Toronto, dans la province d’Ontario, ce 10e jour de mai 2002.

Monsieur le juge Dennis R. O’Connor

Juge en chef adjoint de l’Ontario

Madame la juge D.K. Livingstone

Cour de justice de l’Ontario

M. Henry Grant Wetelainen

M. Julian Porter, c.r.