Dans l’affaire de la plainte concernant Madame la juge Dianne M. Nicholas
DEVANT
M. le juge R. Roy McMurtry
Juge en chef de l’Ontario
M. le juge David Wake
Juge en chef adjoint Cour de justice de l’Ontario
Me Julian Porter, c.r.
M. William James
AVOCAT
Me Douglas C. Hunt, c.r. et Me Michael Meredith, avocat présentant la cause
Me David Scott, c.r., avocat de Mme la juge Nicholas
MOTIFS DES DÉCISIONS
Le Conseil de la magistrature de l’Ontario (le » Conseil « ), conformément au paragraphe 51.4 (18) et à l’article 51.6 de la Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.O. 1990, ch. 43, telle que modifiée, a tenu une audience concernant Mme la juge Dianne Nicholas le 29 juin 2004.
Un énoncé des faits incontestés a été déposé à l’audience qui comprenait des observations conjointes relatives à la nature de la conduite que Mme la juge Nicholas a reconnue et au degré de gravité de cette conduite.
Un mémoire de lettres de soutien de Mme la juge Nicholas a également été déposé.
Les faits incontestés
Les faits se résument comme suit :
La plaignante, Mme Silvana Segreto, a comparu accompagnée de son avocat, Me Ronald Guertin, devant Mme la juge Nicholas à Ottawa, le 29 avril 2002, en rapport avec une allégation de fraude de l’aide sociale.
Mme Segreto a plaidé coupable de la fraude de l’aide sociale. L’avocat de la plaignante souhaitait que la sentence soit remise afin de lui permettre de présenter des renseignements médicaux concernant les blessures physiques et psychologiques dont Mme Segreto avait souffert à la suite de l’aliénation invoquée des biens de son père par l’un de ses frères. À la suite de cette remarque, Mme la juge Nicholas a demandé à Mme Segreto si son frère était Rick Segreto. Mme Segreto a répondu que c’était le cas.
Mme la juge Nicholas a alors indiqué qu’elle connaissait Rick Segreto en précisant » qu’il avait été l’entraîneur de soccer de sa fille et qu’elle ne l’aimait vraiment pas à l’époque… » puis en ajoutant » qu’il avait un casier judiciaire « .
Mme la juge Nicholas tenait à ce que Mme Segreto et son avocat puissent prendre acte du fait qu’elle connaissait personnellement Rick Segreto, dans le cas où ils souhaiteraient que l’affaire soit portée devant un autre juge.
L’avocat de Mme Segreto a indiqué que c’était » Okay « . Mme Segreto a indiqué que sa famille n’avait aucune communication avec Rick Segreto. Mme la juge Nicholas a alors répondu » En êtes-vous bien certains parce que je ne voudrais pas – je ne vais pas – m’en prendre à votre client; c’est juste une question de principe : si je connais quelqu’un, je le dis « . [traduction]
Mme Segreto a alors confirmé que sa famille ne parlait pas à son frère et que ce dernier avait causé beaucoup d’angoisse à la famille, qu’il n’était pas inclus dans le testament de son père et qu’il était rejeté par le reste de la famille.
Mme la juge Nicholas a répondu que Rick Segreto était » un bon à rien » et que » en fait, il avait quitté sa femme et ses deux enfants pour la mère de l’un des jeunes, elle même responsable de l’équipe « . Elle a aussi déclaré : » … en fait, il est parti avec l’une des mères de l’équipe. Je n’étais vraiment pas ravie de cette situation. J’ai sorti ma fille de l’équipe. Je vous dis ceci pour le cas où vous souhaiteriez qu’un autre juge s’occupe de cette affaire… » puis elle a encore déclaré » Je ne pense pas que ce soit un problème mais je veux que vous le sachiez « . [traduction]
Me Guertin a demandé et obtenu l’autorisation de discuter avec sa cliente dans la salle d’audience puis a informé Mme la juge Nicholas que Mme Segreto n’avait pas d’objections.
Mme la juge Nicholas a une fois encore mentionné l’alinénation des biens en indiquant » C’est pour cela que je demande s’il était l’un de ceux qui a aliéné les biens parce que ça ne m’étonnerait vraiment pas de sa part. »
Mme la juge Nicholas a accepté la plaidoirie de culpabilité de Mme Segreto et a reporté la déclaration de la sentence concernant cette affaire au 24 juillet 2002.
Peu de temps après le 29 avril 2002, mais avant la date de la déclaration de la sentence le 24 juillet 2002, alors qu’elle était encore chargée de l’affaire Segreto, Mme la juge Nicholas a parlé de cette affaire avec un certain Thomas Grumley qu’elle a rencontré par hasard dans la rue, directement en face du palais de justice.
Mme la juge Nicholas connait M. Grumley depuis une dizaine d’années, en tant que voisin et que parent de l’équipe de soccer. Ils demeurent dans le même quartier, et M. Grumley travaille directement en face du palais de justice, sur la Place Bell Canada.
Alors que l’affaire n’était pas encore close, Mme la juge Nicholas a indiqué à M. Grumley que Mme Segreto avait comparu devant elle et qu’elle avait plaidé coupable à une accusation de fraude de l’aide sociale. Elle a dit à M. Grumley que ce n’était pas une affaire très grave et que Mme Segreto semblait gentille.
Mme Segreto a été mise au courant de cette conversation ultérieurement par sa nièce, la fille de Rick Segreto. Selon Mme Segreto, sa nièce l’aurait appris des enfants de M. Grumley lesquels l’auraient appris de M. Grumley lors d’un dîner en famille.
Dans sa plainte, Mme Segreto affirme que » Mme la juge Nicholas a divulgué tous les détails possibles et imaginables » de son affaire à M. Grumley. M. Grumley n’est pas d’accord avec cette affirmation et a communiqué directement avec le Conseil de la magistrature à ce propos, indiquant que Mme la juge Nicholas lui avait seulement mentionné que la sœur de Rick Segreto avait comparu devant elle et qu’elle avait été reconnue coupable dans une affaire de fraude de l’aide sociale. M. Grumley a affirmé que toutes les autres assertions faites par Mme Segreto, telles que rapportées dans le Ottawa Citizen, sont fausses.
Mme la juge Nicholas a reconnu qu’elle n’aurait pas dû parler à M. Grumley de l’affaire Segreto et qu’il avait été inapproprié de le faire. Mme la juge Nicholas regrette les répercussions de ses actions sur Mme Segreto et sa famille, notamment le fait d’avoir embarrassé Mme Segreto.
Peu de temps après que la plainte de Mme Segreto ait été déposée auprès du Conseil de la magistrature de l’Ontario le 19 août 2002, le journal Ottawa Citizen a mentionné la plainte dans des articles publiés à la fois dans ses versions imprimée et électronique, donnant tous les détails de l’audience du 29 avril au tribunal et rapportant la conversation avec Thomas Grumley ainsi que la réaction de Mme Segreto à celle-ci.
Le 24 juillet, date du prononcé de la sentence, l’avocat de Mme Segreto a demandé à Mme la juge Nicholas de se retirer en raison de sa conversation avec M. Grumley. Mme la juge Nicholas a immédiatement annulé le plaidoyer de culpabilité et a suggéré que l’affaire soit transférée au tribunal chargé des plaidoyés de culpabilité ce même jour afin qu’elle soit traitée par un autre juge. Me Guertin a demandé à réexaminer sa position.
Après avoir annulé le plaidoyer, Mme la juge Nicholas est retournée au cabinet des juges au 6e étage du palais de justice. Elle a ensuite eu le sentiment qu’elle aurait dû présenter ses excuses à Mme Segreto et à son avocat et a demandé à la réceptionniste de diffuser un appel demandant à Me Guertin de se rendre à son bureau de façon à ce qu’elle puisse lui présenter ses excuses.
Me Guertin ne s’est pas présenté au cabinet des juges. Mme la juge Nicholas est retournée en salle d’audience peu de temps après pour s’occuper de ses autres instances. Elle a demandé au commis du tribunal, Lucille Bordeleau, d’essayer de trouver Me Guertin et sa cliente et de leur demander de revenir en salle d’audience.
Mme Bordeleau a trouvé Me Guertin et lui a demandé de se présenter à la salle d’audience. L’avocat a dit qu’on lui avait déjà demandé de se présenter au cabinet des juges. Sur ce point, les témoignages de Me Guertin et de Mme Bordeleau diffèrent. Mme Bordeleau a déclaré que son intention était de ramener Me Guertin dans la salle d’audience où Mme la juge Nicholas attendait sur le siège. Me Guertin a indiqué avoir avisé la commis du tribunal qu’il avait demandé un avis juridique et qu’il considérait qu’il serait inapproprié de sa part de parler de cette affaire avec Mme la juge Nicholas.
Rien ne suggère que Mme la juge Nicholas ait sommé l’avocat de se rendre en son cabinet ou en salle d’audience pour tout autre raison que la présentation d’excuses.
Mme la juge Nicholas a indiqué dans sa lettre qu’elle regrettait sincèrement la position dans laquelle Mme Segreto et son avocat avaient été placés et indiquait que la demande de récusation était » tout à fait appropriée « . Mme la juge Nicholas s’est entretenue du contenu de la lettre avec un juge principal du tribunal avant de l’envoyer.
Question de l’inconduite
Mme la juge Nicholas reconnaît que les déclarations qu’elle a faites en salle d’audience le 29 avril 2002, telles que décrites ci-dessus, ainsi que la conversation qu’elle a eue par la suite avec M. Grumley constituent une faute de conduite professionnelle de sa part.
Présentation conjointe
Mme la juge Nicholas accepte et reconnaît que sa conduite était inappropriée et indiscrète et que son inconduite professionnelle constitue une question grave. Son avocat et l’avocat présentant la cause acceptent et ont soumis conjointement que cette inconduite, que Mme la juge Nicholas admet, » même si elle est grave, se trouve au bas de l’échelle de l’inconduite d’un magistrat. Par conséquent, elle devrait donner lieu à une sanction en rapport avec sa gravité, soit une sanction parmi les moins graves de celles prévues en cas d’inconduite de la part d’un juge. Les avocats ont fait valoir qu’une sanction conformément aux alinéas 51.6 (11) a) à d) constitue une sanction appropriée dans cette affaire. »
Les dispositions prévues par le paragraphe 51.6 (11) sont les suivantes :
a) donner un avertissement au juge;
b) réprimander le juge;
c) ordonner au juge de présenter des excuses au plaignant ou à toute autre personne;
d) ordonner que le juge prenne des dispositions précises, tel suivre une formation ou un traitement, comme condition pour continuer de siéger à titre de juge;
e) suspendre le juge, avec rémunération, pendant une période quelle qu’elle soit;
f) suspendre le juge, sans rémunération mais avantages sociaux, pendant une période maximale de 30 jours;
g) recommander au procureur général la destitution du juge conformément à l’article 51.8.
Lettres de soutien
Comme indiqué ci-dessus, un mémoire de lettres de soutien de Mme la juge Nicholas a été déposé; ce mémoire comprenait les lettres de deux juges en exercice à la Cour supérieure de justice, d’un ancien juge de la Cour supérieure, d’un juge de la Cour de justice de l’Ontario et de quatre avocats confirmés de défense criminelle, dont l’un est un ancien procureur principal de la Couronne.
Ces lettres contiennent les observations suivantes à propos de Mme la juge Nicholas :
a) elle est compétente;
b) elle a son franc parler en salle d’audience, motivé par sa volonté de » démystifier » la procédure judiciaire;
c) elle est intuitive et très attentionnée;
d) elle accepte des affaires très difficiles et travaille de façon acharnée;
e) c’est une personne de très grande intégrité;
f) elle démontre généralement un très bon jugement et a une excellente connaissance de la loi.
Opinion des plaignants
La plaignante est tout à fait d’accord avec la soumission conjointe.
Conclusion
Nous sommes satisfaits que Mme la juge Nicholas est mortifiée et embarrassée par sa conduite comme l’a indiqué son avocat. Elle a aussi admis son inconduite de façon spontanée et sans délai, et elle a présenté des excuses sincères. De toute évidence, elle est embarrassée par les rapports qu’ont fait les médias de l’affaire et de la publicité de la plainte devant le Conseil qui en a résulté.
Le comité reconnaît que Mme la juge Nicholas a reconnu sans réserve la gravité de son inconduite et qu’elle est consciente du fait que la répétition d’une telle inconduite pourrait entraîner une décision plus grave.
Nous croyons qu’il est dans le meilleur intérêt de l’administration de la justice que Mme la juge Nicholas continue à siéger en tant que juge, comme elle l’a fait depuis le dépôt de la plainte, il y a près de deux ans.
Indemnisation
Aucune recommandation ne sera faite concernant l’indemnisation de la juge conformément au paragraphe 51.7 (4) de la Loi sur les tribunaux judiciaires.
DATÉ à Toronto, dans la province de l’Ontario, le 12 juillet 2004.
M. le juge en chef R. Roy McMurtry
M. le juge en chef adjoint David Wake
Me Julian Porter, c.r.
M. William James